Podcast Summary
Le Cours de l’histoire (France Culture)
Épisode : Célibat, des histoires au singulier 4/4 : « JH cherche ami masculin », histoire des petites annonces gays et lesbiennes
Date : 20 décembre 2025
Host : Xavier Meuduit
Invités :
- Hugo Bouvard (historien, maître de conférences, Université Paris Cité)
- Younes Lakal (agrégé d’histoire, spécialiste du marché de la rencontre homosexuelle)
1. Brève Présentation
Cet épisode conclut une série sur l’histoire du célibat en s’intéressant à la spécificité du célibat chez les personnes gays et lesbiennes en France, avec un focus sur l’histoire sociale, politique et littéraire des petites annonces de rencontre dans la presse. Il interroge les dimensions du célibat contraint, de l’isolement, des stratégies de rencontre et l’invention de « marchés » alternatifs de la relation à travers la presse, la radio, le Minitel puis Internet.
2. Principaux Thèmes & Discussions
A. Célibat et exclusion du mariage pour les personnes LGBT+ (00:14–04:21)
- Enjeu historique : Le célibat est structurellement lié à la condition homosexuelle, du fait de l’exclusion longue du mariage.
- Nuances administratives : Certains gays/lesbiennes étaient mariés avec des personnes hétérosexuelles, parfois par arrangement.
- Célibat « endurci » : Le terme servait parfois d’euphémisme dans la presse pour désigner des gays/lesbiennes.
« Pendant longtemps, il n’était pas possible d’être marié. Donc on peut dire que le célibat était au cœur de ce statut humain qu’il désignait tant et tant. »
— Xavier Meuduit (01:17)
B. Isolement, solitude et normativité sociale (04:21–09:05)
- Le célibat homosexuel est marqué par le regard social, l’isolement et l’impossibilité institutionnelle de la conjugalité.
- L’isolement est régulièrement vécu et nommé dans les petites annonces ou courriers de lecteurs.
« Dans la presse, c’était une forme d’euphémisme pour gays ou lesbiennes… ce label a été appliqué. »
— Hugo Bouvard (04:06)
C. Petites annonces : une réappropriation et une subversion (09:05–12:53)
- Les petites annonces gays/lesbiennes reprennent un format matrimonial pour le détourner.
- Ces annonces élargissent le spectre des relations possibles : recherche d’amour durable, compagnonnage, sexualité éphémère, entraide sociale.
« L’irruption des petites annonces homosexuelles est une forme de déplacement de l’institution liée au mariage. Derrière le célibat se cache une multiplicité d’expériences. »
— Younes Lakal (09:05)
D. Chronologie et supports des annonces (11:31–14:58)
- Années 1920–30 : Premières revues homosexuelles clandestines comportant des annonces.
- Années 1950 : Futur, Arcadie.
- Années 1970 : Diversification et visibilité accrue des petites annonces, supportées par « Libération », « le Nouvel Homo », puis une presse homosexuelle foisonnante.
- Les petites annonces deviennent économiques essentielles pour la presse gaie/lesbienne.
E. Censure, répression et enjeux de moralité (14:58–18:06)
- Homosexualité pénalisée dans la loi française jusqu’en 1982.
- La presse gay/lesbienne fait l’objet d’interdictions régulières (affichage, vente aux mineurs).
- Débat moral interne dans la presse sur la publication de ce type d’annonces.
« Publier des petites annonces entre personnes du même sexe, c’est prendre le risque de s’aliéner une partie de son lectorat… »
— Younes Lakal (17:16)
F. Spécificités des annonces et motifs de recours (18:44–25:18)
- Petites annonces comme « portails sécurisés », surtout face à la peur de réactions violentes (20:03–20:41).
- La solitude et le sentiment d’isolement sont souvent mis en avant (Cf. témoignage de Guy, Paris, 1975 – 20:03–20:41).
- Les annonces permettent de s’identifier, d’assumer ses désirs, de composer avec l’homophobie sociale, mais aussi de participer à une communauté.
« Écrire une annonce… c’est aussi participer d’une communauté, c’est mettre à distance ses sentiments, une vertu thérapeutique. »
— Younes Lakal (21:36)
G. Formes, langages et contenu des annonces (25:18–29:04)
- Formats variables selon les supports : de 2 lignes à des pages entières parfois (dans « Gai Pied » ou « Libération »).
- L’annonce mêle, outre la rencontre amoureuse/sexuelle, des attentes en matière de logement, d’emploi, de services.
- Évolution des codes : passage de l’adresse personnelle à la poste restante pour augmenter la sécurité.
« Recherche jardinier viril pour petits travaux et amitié possible… il y a cette imbrication des horizons de la rencontre. »
— Hugo Bouvard (25:40)
H. Codes, humour, et débats internes (29:04–32:53)
- Les annonces comportent souvent un humour auto-parodique ou des NDLC (notes de la claviste) pleines de commentaire ironique (Libération).
- Débats sur les annonces négatives : beaucoup d’annonces excluent explicitement certains types de personnes (ex. hommes efféminés).
- Revues militantes comme « Homophonie » forcent la parité hommes/femmes dans les annonces et interdisent le rejet basé sur la race.
I. Spécificités lesbiennes et bisexualité (33:35–39:19)
- Faible présence historique de la petite annonce dans la presse lesbienne avant 1983 (« Lesbias »).
- Les annonces lesbiennes rejettent souvent les couples mariées ou bisexuelles (dans le sens « femme mariée ayant des relations extra-conjugales »), moins d’érotisation des rencontres, plus de recherche de liens affectifs durables.
- Les annonces de couples hétéros cherchant une femme sont nombreuses et perçues comme intrusive par les lesbiennes, d’où un « lesbiennisme politique ».
« Le rejet de la bisexualité par les femmes, il attrait d’abord à la revendication de l’identité lesbienne, mais aussi à se protéger du regard et de la sexualisation masculine. »
— Younes Lakal (39:19)
J. Mixité et tensions politiques dans le militantisme LGBT (39:30–41:22)
- Tensions récurrentes sur la place des lesbiennes et la sexualisation des espaces militants.
- Les lesbiennes créent leurs propres groupes pour échapper à la domination masculine et à la prioritisation des enjeux de rencontre sexuelle dans les groupes mixtes.
K. Mutations des supports : radio, Minitel, Internet (44:05–54:55)
- 1982 : Abolition de la discrimination légale, explosion de la presse et apparition de Fréquences Gay, première radio homosexuelle 24h/24.
- Les petites annonces envahissent radio, Minitel puis forums.
- La radio se distingue par son immédiateté, son ton plus cru, et le « contrôle » par les animateurs (vérification des annonceurs).
« Les petites annonces se déplacent de la presse à la radio… puis au Minitel rose (services commerciaux et militants) et enfin à Internet. »
— Hugo Bouvard (52:01)
- Les pratiques de rencontres évoluent avec la technique, mais les continuités demeurent (le forum/annonce comme point de départ pour des espaces de rencontre réels).
L. Racisation et sexualisation dans les annonces (55:24–56:39)
- Les catégories raciales ressurgissent dans les petites annonces : on y décrit l’autre comme un « Autre » (hyper-virilité, sexualisation excessive), prolongeant les stéréotypes coloniaux et ceux de la pornographie.
- Les annonces érotisent certains groupes et en excluent d’autres – souvent sans que l’auteur de l’annonce se racialise lui-même.
3. Citations et Moments Mémorables (avec timestamps)
- [01:17] Xavier Meuduit :
« Le célibat est lié à cette histoire LGBT+… Pendant longtemps, il n’était pas possible d’être marié. » - [04:06] Hugo Bouvard :
« Célibataire endurci. Dans la presse, c’était une forme d’euphémisme pour gays ou lesbiennes… » - [20:03–20:41] Courrier, lu par Raphaël Laloum :
« Je crois que l’un des mots les plus atroces pour beaucoup d’entre nous, c’est la solitude… J’espère trouver un ami véritable et sincère. » – Guy, Paris, 1975 - [21:36] Younes Lakal :
« Écrire une annonce, c’est participer d’une communauté, c’est une vertu thérapeutique… » - [25:40] Hugo Bouvard :
« Recherche jardinier viril pour petits travaux et amitié possible… il y a cette imbrication des horizons… » - [39:19] Younes Lakal :
« Le rejet de la bisexualité par les femmes… attrait à la revendication de l’identité lesbienne et à se protéger du regard masculin. » - [52:01] Hugo Bouvard :
« On voit que le format de l’annonce se déplace avec les technologies… Les pratiques s’adaptent plus qu’elles ne disparaissent. » - [55:24] Younes Lakal :
« Les catégories raciales ne servent qu’à désigner l’autre… on décrit l’autre, du coup, comme un autre que blanc… L’homme Autre va être associé à l’hyper-virilité, la sexualisation extrême… »
4. Segments clés et Timestamps
- Définition et pluralité du célibat homosexuel : [00:14–04:21]
- Isolement, solitude et stigmates sociaux : [04:21–09:05]
- Réappropriation des codes de la petite annonce : [09:05–12:53]
- Chronologie et diffusion des annonces homosexuelles : [11:31–14:58]
- Censure et moralité dans la presse : [14:58–18:06]
- Raison d’être, fonction sociale et « parade » des annonces : [18:44–25:18]
- Formes et styles des annonces : [25:18–29:04]
- Codes, humour, réflexivité, débats internes : [29:04–32:53]
- Annonces lesbiennes et enjeux de la bisexualité : [33:35–39:19]
- Mixité et tensions dans le militantisme : [39:30–41:22]
- Années 1980 : libéralisation, radio, Minitel : [44:05–53:33]
- Racisme et sexualisation dans les annonces : [55:24–56:39]
5. Conclusion et portée
Cette plongée dans l’histoire des petites annonces gays et lesbiennes met au jour un double mouvement : la longue assignation au célibat et à l’isolement—vecteur de honte mais aussi d’inventivité et d’entraide—et la fabrique d’espaces sociaux intimes et publics, depuis la presse clandestine jusqu’aux plateformes numériques. Ces annonces ne sont pas seulement une tentative de rupture de la solitude, elles sont un laboratoire des formes relationnelles, porteuses d’utopies, de discriminations, de projections politiques, et de négociations constantes.
L’épisode finit sur l’idée que les luttes ne sont pas achevées et que l’analyse de ces archives reste un formidable outil pour comprendre l’intrication entre histoire intime et histoire sociale.
6. À retenir
- L’histoire du célibat homosexuel révèle la spécificité d’une assignation mais aussi d’une créativité sociale.
- Les petites annonces sont plus qu’un simple « marché de la rencontre » : elles sont de véritables espaces d’expérimentation identitaire et de contestation des normes sociales.
- Les supports techniques modifient sans cesse les formes de sociabilité, sans que les problématiques d’exclusion ou de stigmatisation disparaissent.
- Les annonces incarnent aussi le maintien et l’exacerbation de certains stéréotypes raciaux et sexuels contemporains.
- L’étude des annonces permet de saisir l’évolution du langage, des attentes sentimentales, sexuelles et politiques des communautés LGBT+.
Résumé rédigé dans l’esprit accessible, érudit, mêlant perspectives sociologiques, historiques et politiques de l’émission.
