Le Cours de l’histoire — « Franco, histoire d’un dictateur : Mettre l’Espagne au pas. Le franquisme, une machine à broyer »
Podcast : France Culture — Le Cours de l’histoire Date : 18 novembre 2025 Host : Xavier Mauduit Invités : Amélie Nuck, François Godichaud
Aperçu de l’Épisode
Thème principal : Cet épisode explore la mécanique répressive du franquisme, présenté comme une « machine à broyer » la société espagnole, de la guerre civile à la longue dictature (1939–1975). On y examine le processus d’exclusion, de répression et de contrôle, du massacre organisé d’opposants à l’endoctrinement des enfants, avec un focus sur l’articulation entre religion, corps social et violence institutionnelle.
Principaux Points de Discussion et Analyses
1. Les Origines de la Répression franquiste
- Le franquisme naît dans le contexte de la guerre civile espagnole (1936–1939) avec une volonté claire d’éradiquer toute forme d’opposition — « rouges », syndicalistes, intellectuels, femmes, enfants, etc. (00:09)
- François Godichaud : la répression vise « l’extermination de l’ennemi collectif », incluant les libéraux et tout ce qui s’apparente aux droits de l’homme (02:40).
- La République de 1931 est perçue comme le moment d’ouverture démocratique (droit des femmes, protection des travailleurs), aussitôt désignée comme cible à éliminer par les franquistes (03:29).
2. La Machine à broyer : Institutions, Loi et Quotidien
- Institutions disciplinaires (reformatorios) : Amélie Nuck explique l’histoire des maisons de redressement, d’abord à vocation philanthropique, basculant sous Franco vers l’instrument répressif au service du régime (04:22).
- Franco projette la rééducation de toute la population — classement, fichage, menaces et contrôle social, selon un processus visant à forcer la « rédemption » (05:53).
3. Enfants, Adolescents et Contrôle social
- Les enfants soupçonnés ou simplement issus de familles dissidentes sont vus comme potentiellement dangereux, et même sans engagement politique, ils subissent la répression (07:02).
- Loi de responsabilité politique (1939) : dès 14 ans, un adolescent peut être jugé par des tribunaux militaires ; les maisons de redressement s’insèrent donc dans la chaîne institutionnelle du contrôle (07:20).
4. Violence organisée, Mémoire, Martyrs
- Référence à García Lorca (poète exécuté) et José Antonio Primo de Rivera (martyr du camp franquiste). Mais contrairement aux franquistes, les victimes républicaines disparaissent de la mémoire officielle — la récupération de la mémoire historique ne naîtra qu’après 2000 (10:52).
5. Guerre civile ou guerre continue ?
- François Godichaud : la violence franquiste est planifiée, systématisée, continue après la guerre sous des formes variées (13:24).
- Selon lui, la « guerre » ne s’arrête pas vraiment en avril 1939, car la répression — exécutions, camps, surveillance — se poursuit sans relâche (17:04).
6. Pilier du régime franquiste
- Amélie Nuck : l’armée, la phalange (parti unique), l’Église catholique, et les possédants forment les principaux supports du franquisme, chaque pilier trouvant un intérêt dans le retour à l’ordre et l’élimination des opposants (24:03).
7. La « prison à ciel ouvert »
- Répression massive : près de 120 000 personnes exécutées entre 1936–1939, 30 000 après, dont de nombreux disparus (29:08).
- « L’Espagne est une immense prison » : camps de concentration, prisons, procès expéditifs, implications pour toute la société, y compris les femmes et les enfants (31:06).
8. Survivance et mutation du régime
- Après 1945, le franquisme doit « maquiller » ses symboles fascistes ; la violence directe baisse mais le contrôle social reste extrême, la peur devient le ciment principal (37:01).
- Grâce à la Guerre froide, le régime s’affirme comme « sentinelle de l’Occident », bénéficiant ainsi d’une certaine tolérance internationale.
9. Enfants et rééducation religieuse
- Amélie Nuck détaille la mainmise des congrégations religieuses sur les maisons de redressement et l’obligation de pratique religieuse pour sortir ces enfants de leur milieu « dangereux » (41:44).
- Obsession sur la moralité, la sexualité, l’irréligion : contrôle du corps et de l’esprit jusque dans l’intimité familiale (46:45).
- Les enfants servent d’agents de recatholicisation de leur famille — chantage exercé sur les parents (44:56).
10. Spécificités du franquisme
- François Godichaud insiste sur l’ambition totalitaire, commune à tous les fascismes, mais renforcée par l’enracinement de l’Église catholique qui permet un contrôle jusqu’aux consciences (49:19).
- La répression des femmes est « particulièrement violente, atroce et complète », avec des pratiques de déshumanisation et d’humiliation extrême (50:00).
11. Culture du silence et transmission intergénérationnelle
- Lavage de cerveau individuel et collectif : la peur imposée par le régime pousse à la prudence, au silence, à l’auto-censure (52:18).
- L’excavation récente des fosses communes révèle un silence intergénérationnel qui n’a été brisé que par les petits-enfants des victimes (54:06).
12. Héritage : peur, mémoire et résilience
- Le régime manipule la peur d’une nouvelle guerre civile pour s’auto-perpétuer, même au cours de la transition démocratique (56:34).
- « La peur est le personnage principal de l’histoire espagnole » (citation notable de Basquez Montalban, reprise par François Godichaud à 56:34).
Citations et Moments marquants
-
« Le franquisme, une machine à broyer, une machine à réprimer. »
— Xavier Mauduit (00:09) -
« Il s’agit véritablement d’exterminer ce qu’ils appellent l’anti-Espagne, passer par des massacres, mais aussi par le redressement... classer, ficher par millions les Espagnols. »
— François Godichaud (05:53) -
« Être enfant de communiste fait de vous un communiste potentiellement dangereux. »
— Xavier Mauduit (07:02) -
« L’Espagne est une immense prison. »
— Amélie Nuck (31:06) -
« Ce silence devient une condition de la survie... Si l’enfant répète quelque chose à l’école, ça peut très vite avoir pour conséquence la perte d’un travail… Ce silence, cette auto-répression, elle est très importante. »
— François Godichaud (52:43) -
« La peur est le personnage principal de l’histoire espagnole. »
— François Godichaud citant Basquez Montalban (56:34)
Timestamps des Segments Clés
- 00:09 – Introduction au franquisme comme « machine à broyer »
- 02:40 – Désignation de l’« ennemi collectif »
- 04:22 – Sur les institutions disciplinaires pour mineurs
- 10:52 – Deuil, mémoire, et récupération de l’histoire
- 17:04 – Prolongation de la guerre civile bien au-delà de 1939
- 24:03 – Les piliers du franquisme
- 29:08 – Chiffres de la répression et la question des disparus
- 31:06 – L’Espagne comme « immense prison »
- 37:01 – Mutation du régime après 1945
- 41:44 – Rééducation religieuse des enfants et contrôle des familles
- 49:19 – Spécificité franquiste du contrôle total par l’Église
- 52:43 – Silence, peur, transmission : mémoire collective étouffée
- 56:34 – Manipulation de la peur pour la survie du régime
Conclusion
Cet épisode met en lumière la logique systémique du franquisme, engagé dans une répression multiforme pour forger une « Espagne nouvelle », purgée de sa diversité politique, sociale et culturelle. À travers l’armée, l’Église, le contrôle social, et une économie de la peur, la dictature franquiste aura façonné durablement la mémoire collective espagnole jusque dans l’intimité familiale et la transmission intergénérationnelle du silence et de la crainte.
Pour approfondir :
- François Godichaud, La guerre d'Espagne (Odile Jacob)
- Amélie Nuck, Péché de jeunesse : déviance, marginalité, rééducation dans l’Espagne franquiste (Presses universitaires de Rennes)
