Le Moyen Âge y a déjà pensé : Selfies de stars, version moderne du culte des reliques
Podcast: Le Cours de l'histoire (France Culture)
Date: 19 décembre 2025
Épisode animé par: France Culture
Thème de l’épisode
L’épisode explore le parallèle saisissant entre la quête contemporaine du selfie avec une star et le culte médiéval des reliques. En retraçant la passion des foules d’hier et d’aujourd’hui pour « capturer » un fragment d’aura, l’émission montre comment notre fascination pour les objets sacrés s’est transposée, des reliques touchées au Moyen Âge aux selfies collectionnés à l’ère numérique.
Points clés et analyses
Le selfie : quête moderne de fragments d’aura
- Introduction du parallèle : Aujourd’hui, impatients de décrocher un selfie avec une célébrité, on s’agite dans la foule, smartphone à la main, pour saisir un éclat de leur « aura » (00:00).
- Comparaison historique : Au Moyen Âge, l’objet du désir est la sainteté incarnée dans les saints plutôt que dans les stars contemporaines.
« Au Moyen-Âge, on se bat littéralement parfois pour toucher un saint, ou tout au moins son tombeau, ou pour posséder une relique. » (A, 00:22)
Reliques : pouvoir, commerce et dévotion
- Nature des reliques : Restes corporels ou objets touchés par les saints, dotés de pouvoirs jugés protecteurs ou guérisseurs.
- Usage : Emportées en procession, présentées lors d’épidémies ou de famine, devenues supports de promesses. La sainteté, au Moyen Âge, passe par le contact physique (00:35).
- Prestige et marché des reliques : Posséder une relique, c’est attirer pèlerins, vendeurs, richesses – un mégaprojet touristique et économique, version sacrée.
« Posséder une relique importante, c'est avoir un immense prestige. C'est attirer des pèlerins, des marchands et beaucoup d'argent. Un peu comme accueillir les J.O., version sacrée. » (A, 01:12)
Achat de la couronne d’épines : un exemple spectaculaire
- Saint Louis et la Sainte Couronne : En 1239, le roi de France achète la couronne d’épines du Christ à l’Empereur de Constantinople pour 135 000 livres tournois (un montant colossal, trois fois le coût de la Sainte-Chapelle construite pour l’abriter).
- Dimension politique et sacrée : L’achat vise à sacraliser le roi, à faire de Paris la « Nouvelle Jérusalem » (01:38).
- Trace aujourd’hui : La relique est sauvée de l’incendie de Notre-Dame en 2019.
« Cet achat vise aussi à sacraliser le roi et à faire de Paris une sorte de Nouvelle-Jérusalem. » (A, 02:00)
Premiers selfies médiévaux
- Des miroirs pour capter la lumière des reliques : Certains pèlerins médiévaux utilisaient des petits miroirs pour recueillir le reflet de la relique, en espérant repartir avec une fraction de son pouvoir – une forme de « selfie » avant l’heure (02:18).
« Oui, certains pèlerins utilisaient parfois de petits miroirs qu'ils approchaient des reliquaires. [...] On repartait alors avec un fragment de rat dans sa poche, une sorte de selfie médiéval. » (A, 02:20)
Mise à distance du sacré à la Renaissance
- Crise du culte des reliques : À la Renaissance, la matérialité des reliques choque. Les critiques sont vives, portées au pinacle par la Réforme protestante.
- L’attaque de Calvin : En 1543, Jean Calvin publie un pamphlet féroce contre les reliques, dénonçant superstitions, fraudes et trafic, et ridiculisant par l’absurde l’abondance présumée des reliques du Christ et de la Vierge.
« Il ironise sur le lait de la Vierge, si abondant partout, écrit-il, que même une vache aurait eu du mal à en produire autant. » (A, 03:15)
- Calvin voit dans ce commerce une « starification » indue des saints.
La continuité des passions humaines
- Lien intemporel : Aujourd’hui, on n’afflue plus vers un os sacré, mais vers un festival pour un selfie ou un autographe gardé précieusement, comme une relique.
« Parce qu'au fond, entre le fan et le pèlerin médiéval qui cherche à capturer un peu de lumière, il n’y a qu’un miroir ou un smartphone d’écart. Une différence aussi fine qu’une épine. » (A, 04:10)
Timestamps – Moments clés
- 00:00-00:35 : Parallèle entre selfies et reliques ; présentation du culte des saints.
- 01:12-02:00 : Le marché des reliques, prestige et économie médiévale ; la Sainte Couronne.
- 02:18-02:40 : Le selfie médiéval : pratique des petits miroirs sur les reliquaires.
- 03:00-03:50 : Les critiques de la Renaissance ; le pamphlet de Jean Calvin.
- 04:10-Fin : Conclusion sur la continuité de l’aspiration humaine à « toucher » le sacré ou le célèbre.
Citations marquantes
- « Posséder une relique importante, c'est avoir un immense prestige. [...] Un peu comme accueillir les J.O., version sacrée. » (A, 01:12)
- « Oui, certains pèlerins utilisaient parfois de petits miroirs qu'ils approchaient des reliquaires. La lumière de la relique s'y reflétait et pensait-on s'y déposait. [...] Une sorte de selfie médiéval. » (A, 02:20)
- « Il ironise sur le lait de la Vierge, si abondant partout, écrit-il, que même une vache aurait eu du mal à en produire autant. » (A, 03:15)
- « Parce qu'au fond, entre le fan et le pèlerin médiéval qui cherche à capturer un peu de lumière, il n’y a qu’un miroir ou un smartphone d’écart. Une différence aussi fine qu’une épine. » (A, 04:10)
Conclusion
Dans un style enlevé, l’épisode tisse un lien fascinant entre la quête contemporaine de l’authenticité via le selfie et la longue histoire du désir de « saisir » la sainteté à travers les reliques.
Il invite à réfléchir sur la permanence des rituels et des passions humaines, du Moyen Âge à nos jours, et sur l’incroyable modernité de ces pratiques médiévales.
