Résumé détaillé de l’épisode
Podcast : Le Cours de l’histoire (France Culture)
Épisode : Terres de glace, histoires d’explorations polaires 1/4 : L’odyssée polaire de Pythéas
Date : 6 décembre 2025
Animateur : Xavier Mauduit
Invité : François Herbeau, journaliste et auteur de « Pythéas, explorateur du Grand Nord »
Thème général de l’épisode
Cet épisode inaugure une série sur les explorations polaires en entamant une plongée dans le passé antique, avec la figure fascinante de Pythéas, navigateur et savant marseillais du IVe siècle avant J.-C., souvent considéré comme le premier Européen à avoir exploré les régions polaires du nord de l’Europe. À travers l’enquête rigoureuse de François Herbeau, l’émission s’attache à démêler la réalité du mythe en reconstituant l’itinéraire, les méthodes et les découvertes de Pythéas, tout en interrogeant la réception postérieure de ses récits.
Points clés et structure de l’épisode
1. Présentation de Pythéas et des sources
- Enjeux documentaires : La vie et les voyages de Pythéas sont très mal connus, son œuvre ayant totalement disparu. Le récit repose sur des fragments transmis par une demi-douzaine d’auteurs antiques (Strabon, Pline l’Ancien, Hipparque, etc.), eux-mêmes souvent critiques ou sceptiques.
- « Pythéas, explorateur du Grand Nord, dont on ne sait pas grand-chose. C’est quoi la démarche au moment d’étudier quelqu’un dont on ne sait pas grand-chose ? » – Xavier Mauduit (01:26)
- « J’ai retraduit les textes en français, en 38 fragments, qui sont les seules traces qu’il nous reste de ce personnage » – François Herbeau (03:41)
- Travail d’enquête : Pour combler les lacunes, François Herbeau procède « comme un journaliste » (01:45), s’appuyant sur des publications scientifiques souvent confidentielles et propose au grand public une synthèse lisible.
2. L’œuvre et la pensée scientifique de Pythéas
- Un traité disparu : Pythéas a rédigé un ouvrage, De l’Océan, perdu aujourd’hui, qui couvrait des observations géographiques et astronomiques (04:25).
- Mesure des latitudes : Pythéas aurait été le premier à mesurer la latitude de Marseille avec une précision exceptionnelle (43°17’), preuve concrète de l’avancée scientifique antique (15:33).
- « Ainsi, à 47 secondes près, Pythéas, il y a 22 siècles, et sans le secours d’aucun des appareils perfectionnés dont nous disposons aujourd’hui, parvenait à fixer la latitude de sa patrie. » – Archive ORTF (15:49)
- Instruments et méthodes : Utilisation du gnomon (cadran solaire) pour estimer la latitude par observation de l’ombre au solstice (11:38 à 12:29).
3. La représentation du monde chez les Anciens
- Terre ronde : Au IVe siècle avant J.-C., la rotondité de la Terre devient une certitude scientifique, confortée par les observations de Pythéas sur la variation de la longueur des jours vers le nord (10:14 à 11:26).
- Océan circulaire et terre habitée : Les Anciens imaginaient la Méditerranée comme centre de la terre habitée (l’οἰκουμένη), cernée par un océan circulaire (12:56). Le nord-ouest de l’Europe était quasi inconnu avant l’expédition de Pythéas.
4. Le contexte marseillais et le statut de Pythéas
- Marseille, cité grecque : À l’époque, Marseille est une cité grecque commerçante et savante, en lien avec le reste du monde hellénique (19:12).
- Pythéas, entre science et mythe national : Selon l’époque et la légende, on le présente tantôt comme le premier auteur « marseillais », « français » ou « grec » au gré des récupérations (20:51).
5. Sur les traces du voyage : itinéraire reconstitué
- Départ et étapes : Départ de Marseille, passage du détroit de Gibraltar, escales probables au sud de la péninsule ibérique (Cadix, cap Saint-Vincent), Armorique (Bretagne), Cornouailles, Orcades, et Thulé (29:59 à 31:03).
- « On sait très bien, de manière incontestable, qu’il y a un voyage qui mène Pythéas jusqu’en Armorique, en Cornouailles et au nord de l’Écosse. D’ailleurs, c’est le premier à décrire ces côtes britanniques d’aujourd’hui. » – François Herbeau (30:40)
- Navigation hauturière : Possibilité d’une navigation au large, non seulement en cabotage côtier, indiquant une certaine maîtrise marine (31:03 à 31:44).
- Destination ultime : Thulé : Thulé, terre mystérieuse, placée sur le cercle arctique, probablement l’Islande ou la Norvège actuelle (43:45 à 44:55).
- « On peut penser effectivement que l’Islande est de très loin la meilleure candidate pour être la Thulé de Pythéas. » – François Herbeau (44:15)
6. Motivations du voyage : science, commerce, curiosité
- Hypothèse commerciale discutée : Deux lectures se font face : la mission scientifique (primordiale selon Herbeau) et la quête de ressources (étain, ambre) pour Marseille (34:14 à 36:40).
- « On peut quand même se demander ce que Pythéas serait allé chercher du côté de la banquise […] ce n’est pas l’étain et l’ambre. » – Xavier Mauduit (36:37)
- Motivation scientifique : Goût de l’exploration, volonté de mesurer la latitude, de voir le soleil de minuit (16:25 à 17:37).
7. Rencontre des peuples du Nord et observation de la nature
- Descriptions ethnographiques : Récits de modes de vie frugaux, agriculture et élevage rares en zone arctique, description probable des populations scandinaves, distinction entre peuples cultivés ou non (37:36 à 39:21).
- Rencontre avec la banquise : Fragment évoquant l’aspect de la mer « comme une méduse », interprété comme une description naturaliste de la banquise en formation (40:52 à 42:07).
- « Il est vraisemblable que Pythéas soit arrivé à cet endroit-là, où la banquise était en formation […]. Ce qui ressemble à des méduses, c’est cette eau qui est en train de geler. » – François Herbeau (40:52-42:07)
8. Les incertitudes : équipage, itinéraire, fragments perdus
- Impossibilité de tout reconstituer : La composition de l’équipage (25:10 à 26:11), la description des navires, le retour par les fleuves russes ou la Baltique, tout cela demeure incertain (29:36).
- Fragments et mythification : L’absence de texte intégral force à recomposer, à extrapoler, comme dans le roman de Ferdinand Lallemand, source de fantaisie et de confusion (47:32 à 48:49).
9. La postérité : Pythéas, « menteur » ou pionnier reconnu ?
- Contestations antiques : Strabon puis Polybe mettent en cause la véracité du témoignage de Pythéas, jugé invraisemblable car il contredit leurs conceptions géographiques (52:30 à 54:56).
- « On peut penser [...] que Strabon était un géographe qui avait une théorie, je dirais, assez rigide. [...] C’est plus simple de dire que Pythéas a menti. » – François Herbeau (53:45)
- Réhabilitation moderne : Le progrès des connaissances scientifiques et la comparaison avec les observations contemporaines accrédite la fiabilité des descriptions de Pythéas.
- « Toutes les descriptions que Pythéas donne sont tout à fait des descriptions que l’on peut vérifier aujourd’hui. » – François Herbeau (54:49)
10. Le legs : entre science et mythe
- Thulé et Hyperborée, le double héritage : Après Pythéas, s’élabore une géographie du Grand Nord à cheval entre cartographie (Pomponius Mela) et imaginaire mythique (Hyperboréens, Thulé) (55:22 à 57:37).
- Aventure et démarche scientifique : Le récit de Pythéas continue d’inspirer autant les chercheurs que les amateurs d’aventure polaire, comme en témoigne la présence finale de Paul-Émile Victor.
Citations et moments remarquables (avec timestamps)
- Sur la démarche scientifique et la rigueur de Pythéas
- « Pythéas est l’un des premiers à avoir mesuré la latitude d’une ville avec une exactitude quasi-parfaite. C’était sa ville, Marseille. » – François Herbeau (07:45)
- Sur la représentation du monde par les anciens
- « À l’époque de Pythéas, au IVe siècle avant J.-C., c’est justement ce siècle où la sphéricité de la Terre est passée d’hypothèse la plus probable à certitude scientifique. » – François Herbeau (10:14)
- Le témoignage direct sur la banquise
- « Pour ce qui ressemble à la méduse, il dit l’avoir vu de ses yeux. » – Strabon lu par Charlotte Bibring (40:26)
- Sur la réputation de « menteur » de Pythéas
- « C’est Paul-Émile Victor qu’on vient d’entendre. […] Mais aujourd’hui, qu’on connaît bien toutes ces raisons-là, on a toutes les raisons de penser qu’effectivement, il est arrivé jusqu’à la banquise. » – Xavier Mauduit (52:55)
Timestamps des séquences clés
- [01:45] L’enquête sur Pythéas, la démarche du journaliste
- [03:41] Sur les seuls fragments du texte de Pythéas
- [15:33] Sur la mesure exceptionnelle de la latitude de Marseille
- [24:52] Sur le mystère de l’équipage et du navire de Pythéas
- [30:40] Carte du voyage, itinéraire reconstitué
- [36:37] Motivation scientifique ou commerciale ?
- [40:52] La description de la banquise comme « méduse »
- [44:15] L’énigme de Thulé
- [52:30] Pythéas dit « menteur » par Strabon
- [55:22] L’héritage mythologique : Hyperborée et Thulé
Langue, ton et atmosphère
Le ton est accessible, érudit et souvent humoristique (allusions marseillaises, clins d’œil radio-théâtraux), ponctué de lectures de fragment et d’interventions lumineuses de François Herbeau. Le montage mêle archives, extraits radiophoniques fictifs et analyses rigoureuses, créant un récit vivant et érudit.
Conclusion
L’épisode offre une immersion vivante et passionnante dans le monde antique, restituant la figure de Pythéas comme premier grand explorateur scientifique européen du Nord. Il rappelle que la rigueur et la curiosité scientifique sont aussi anciennes que l’aventure humaine, tout en gardant la prudence critique imposée par les lacunes de la transmission. L’Odyssée de Pythéas, entre brume disciplinaire et lumière polaire, demeure un jalon fondateur de l’imaginaire de l’exploration.
