Résumé de l’épisode : « Les CPAS submergés par la réforme du chômage ? »
Podcast : Les Clés (RTBF)
Date : 2 décembre 2025
Durée : ~27 min
Participants principaux : Arnaud Ruyssen (hôte), Pierre Verbeuren (Directeur général du CPAS de Bruxelles), Sandrine Hofler (Conseillère à la Fédération des CPAS de Wallonie), Sarah Poussey (journaliste), Eleonore Kotman (Directrice de l’Action sociale à Saint-Gilles), Thomas Dermine (bourgmestre de Charleroi)
Thème de l’épisode
L’épisode explore les conséquences sociales et institutionnelles majeures attendues suite à la limitation à deux ans du droit aux allocations de chômage en Belgique. L’attention est centrée sur l’afflux massif pressenti vers les CPAS (Centres Publics d’Action Sociale) et leur capacité – humaine, financière et opérationnelle – à accompagner les dizaines de milliers de personnes qui perdront leur revenu de remplacement à partir de janvier 2026.
Points clés et synthèse structurée
1. Calendrier et ampleur de la réforme
- Dès le 1er janvier 2026, 25 000 personnes perdront leurs allocations de chômage ou d'insertion.
- Montée en puissance : 42 000 supplémentaires au 1er mars, puis encore 45 000 au 1er avril – soit près de 120 000 personnes concernées sur 4 mois (01:12).
- Projection sur 18 mois : Plus de 180 000 exclus d’ici juillet 2027 (01:20).
« Le compte à rebours est lancé : au 1er janvier 2026, quelques 25 000 personnes vont perdre leurs allocations de chômage. [...] Ce sont donc près de 120 000 personnes qui vont perdre leurs allocations dans les 4 mois qui viennent. » – Podcast Host (01:07)
2. Pression d’ores et déjà palpable sur les CPAS
- Afflux anticipé : Dès l’envoi des lettres d’exclusion par l’ONEM, des personnes inquiets affluent vers les permanences (02:58).
- Exemple à Saint-Gilles : Déjà plusieurs semaines d’augmentation, 1000 demandes supplémentaires attendues en quelques mois (03:21).
« Depuis l'envoi des premières lettres par l’ONEM, on a des personnes qui sont inquiètes [...]. Ça fait déjà plusieurs semaines qu'on a un afflux de personnes et ça s'intensifie vraiment de semaine en semaine. »
— Eleonore Kotman (02:58)
3. Surcharge des travailleurs sociaux
- Volume critique de dossiers : Un assistant social gère actuellement ~90 dossiers, limite jugée acceptable.
- Scénario catastrophe : Risque de 120 à 130 dossiers/personne, mettant en péril le respect du délai légal de 30 jours pour instruire les demandes (03:51).
- Besoin urgent de recruter et former de nouvelles équipes, mais processus chronophage.
« Si on arrive à 120, 130 dossiers par assistant social, c’est catastrophique. Il n'y aura plus d'accompagnement de qualité. [...] On a besoin de personnel aussi formé. La formation prend du temps. »
— Eleonore Kotman (03:51)
4. Quadrature financière et disparités territoriales
- Compensations fédérales prévues : la 1re année, prise en charge à 100% du revenu d'intégration pour ces « nouveaux » bénéficiaires. Mais ce soutien sera partiel et dégressif (04:30).
- Inquiétude persistante quant au reste à charge des communes, surtout les plus pauvres, dans les anciens bassins industriels (Charleroi, Liège, quartiers populaires de Bruxelles...) (11:22).
- Disparités accentuées entre communes riches et pauvres : les plus touchées sont aussi celles qui ont le moins de marges financières (11:56).
« Les communes les plus pauvres vont subir une charge beaucoup plus importante, alors qu’elles ont moins les moyens d’y faire face. »
— Sandrine Hofler (11:56)
5. Processus d’accès au revenu d’intégration via le CPAS
- Importance d’anticiper sa demande auprès du CPAS dès la perte de revenus, vu les conséquences immédiates sur le budget du ménage.
- Différence fondamentale avec le chômage : le CPAS analyse la situation globale du ménage, la propriété, les revenus de tous les cohabitants. Ce n’est pas un droit individuel automatique (15:06).
- Statistiquement, 80 à 90% des « cohabitants » exclus du chômage n’auront pas droit au revenu d’intégration sociale.
« La question qui se pose pour un CPAS, ce n'est pas de savoir s'il y a une perte de revenu. La question qui se pose, c'est : est-ce que le ménage sait vivre de façon conforme à la dignité ? »
— Pierre Verbeuren (14:54)
« Entre 80 et 90% des gens qui sont cohabitants [...] ne bénéficieront pas du revenu d'intégration. Donc 80 à 90%, c'est énorme. »
— Pierre Verbeuren (16:48)
6. Accompagnement et contraintes liées au revenu d’intégration
- Projet individualisé d’intégration sociale obligatoire (PIS) : engagement réciproque entre CPAS et bénéficiaire, inclut l’obligation de recherche d’emploi, formation ou mise en action (17:48).
- Accompagnement historique des CPAS : Les CPAS ont une expertise d’accompagnement socioprofessionnel mais manquent de moyens pour absorber ce « choc » (19:09).
- Manque criant de ressources pour maintenir la qualité du suivi individuel et des dispositifs d’insertion.
« Le CPS a l'obligation de signer avec tous les nouveaux bénéficiaires du revenu d'intégration un contrat [...], le projet individualisé d'intégration sociale. »
— Sandrine Hofler (17:48)
7. Limites institutionnelles et perspectives sur l’emploi
- 70% des personnes accompagnées par le CPAS ne sont pas suivies dans l’optique d’un retour direct à l’emploi (étudiants, malades, cas sociaux).
- Cette réforme implique un basculement : l’insertion professionnelle, jusqu’ici marginale parmi les bénéficiaires CPAS adultes, devient centrale (20:30).
- Partenariats à muscler avec Actiris, Forem, fonds sectoriels pour les nouveaux flux (21:44).
« Le premier défi, c’est de recevoir ces personnes. Le deuxième défi, c’est de muscler nos capacités d’articulation avec Actiris, le Forem [...], qui sont des métiers que l’on pratique à la marge aujourd’hui, et qui vont devoir devenir centraux. »
— Pierre Verbeuren (21:44)
8. Impact budgétaire majeur pour les villes et communes
Analyse de Sarah Poussey et Thomas Dermine (22:18)
- Belfius estime un impact de la réforme à 190 millions d’euros/an rien qu’en Wallonie.
- Les aides fédérales prévues (environ 300 millions pour tout le pays) ne couvriront pas tous les coûts (personnel, adaptation, etc.).
- Risque de voir certaines communes réduire drastiquement les investissements publics (voiries, écoles...) ou augmenter les taxes locales (24:40).
« Toutes les communes, et pas que les grandes villes, même les petites […] elles sont en train de mettre leur plan d’investissement à zéro. »
— Thomas Dermine (24:40)
- Pour l’ensemble de la législature, 1 milliard d’euros estimés de surcoût pour les CPAS belges après prise en compte des compensations (25:24).
9. Risques humains et psychosociaux
- Les assistantes sociales craignent de devenir le « réceptacle » de la colère, du désespoir ou du sentiment d’abandon d’usagers confrontés à ces exclusions, sans avoir les moyens structurels pour accompagner dignement ce choc social (27:15).
« Le CPAS symbolise le système. Et donc, puisqu’on est le dernier filet de sécurité… l’incompréhension et le mécontentement des citoyens s’adressent évidemment sur le dernier filet de sécurité. Nos assistants sociaux constatent qu’il y a un sentiment d’être abandonné, et parfois une certaine colère. »
— Pierre Verbeuren (27:15)
Moments marquants et extraits notables
- [02:58] Eleonore Kotman : L’accroissement constaté de l’afflux dès l’envoi des premières lettres ONEM.
- [03:51] Kotman : Risque de surcharge des dossiers, menace sur la qualité et la légalité du suivi.
- [05:40] Pierre Verbeuren : Chiffre pour Bruxelles : ~8000 personnes concernées, 3500 attendues au CPAS.
- [10:40] Sandrine Hofler : Wallonie : 90 000 exclus du chômage ; au moins 30 000 pourraient frapper aux portes des CPAS.
- [11:56] Sandrine Hofler : Les communes les plus pauvres subiront de plein fouet ce choc.
- [15:06] Verbeuren : Changement de paradigme entre système assurantiel du chômage et logique d’état de besoin au CPAS.
- [16:48] Verbeuren : 80 à 90% des cohabitants, nouvellement exclus du chômage, seront refusés à l’accès au revenu d’intégration.
- [17:48] Hofler : Obligation de PIS (projet individualisé), démarche d’insertion systématique.
- [19:37] Hofler : Accompagnement socioprofessionnel en danger vu le transfert massif de ressources vers l’accueil.
- [24:40] Thomas Dermine : Les collectivités renoncent à investir, risque d’appauvrissement de l’espace public.
- [27:15] Verbeuren : Sentiment de colère et d’abandon des usagers, implication émotionnelle supplémentaire pour les équipes CPAS.
Conclusion de l’épisode
La réforme des allocations de chômage va provoquer une onde de choc dans les CPAS, principalement dans les villes et régions déjà précarisées, mettant à l’épreuve leur capacité d’accueil, d’accompagnement, de respect des droits et des délais, tout en creusant le déficit structurel des finances communales. Si la mission d’inclusion est au cœur de leur action, elle s’annonce doublement difficile : par manque de moyens, et parce que l’exclusion systémique entraînera frustrations, incompréhensions, voire colère des citoyens.
« Derrière ces mesures que l'on regarde souvent en termes de tableaux de chiffres, il y a des humains. »
— Podcast Host (28:18)
Épisode recommandé à toute personne qui veut comprendre concrètement les conséquences sociales et financières d’une réforme du chômage en Belgique et la réalité du travail social sur le terrain face à la précarité grandissante.
