Les Clés – "L’Ukraine, gangrenée par la corruption ?"
Podcast par RTBF, animé par Arnaud Reussen
Date : 10 décembre 2025
Vue d’Ensemble
Cet épisode de "Les Clés" s’intéresse à la récente affaire de corruption qui secoue l’Ukraine au plus haut niveau de l’État, notamment dans le secteur de l’énergie, et analyse si le pays reste irrémédiablement marqué par la corruption, ou s’il fait des progrès dans sa lutte contre ce fléau. L’émission donne la parole à des correspondants sur le terrain, à des experts anticorruption, et compare les dynamiques ukrainiennes à celles de leurs voisins, en particulier la Russie.
1. Le Scandale de Corruption : Contexte et Révélations (00:00 – 05:50)
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Affaire mise au jour par le Bureau national ukrainien anticorruption et le procureur spécialisé (01:09)
- Soupçons concentrés sur le secteur de l’énergie, notamment autour d’Energoatom, gestionnaire des centrales nucléaires ukrainiennes (01:24).
- Près de 1 000 heures de conversations enregistrées révèlent un système de corruption bien installé : les entreprises de maintenance étaient contraintes de verser 10 à 15 % du montant de leurs contrats en pots-de-vin (02:07).
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Impliqués de haut niveau :
- Timur Mindich, très proche de Zelensky depuis sa carrière d’humoriste et comédien, avait quitté l’Ukraine juste avant les perquisitions, direction Israël (03:36).
- Plusieurs ministres forcés de démissionner, y compris ceux de l’Énergie et de la Justice (04:14).
- Volodymyr Zelensky à la télévision :
"J'estime que la ministre de l'énergie et le ministre de la justice ne peuvent plus rester en fonction. C'est une question de confiance." — Volodymyr Zelensky (04:14)
- Dix jours plus tard, le chef de cabinet et bras droit de Zelensky, Andrei Yermak, est poussé à la démission suite à des perquisitions chez lui, son nom étant indirectement cité (04:48).
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Impact politique majeur, avec fragilisation du président Zelensky, en pleine négociation pour un plan de paix et dépendant de l’aide de ses alliés (05:31, 05:50).
2. Réactions de la Population et Contexte Historique (06:01 – 10:34)
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Sur le terrain à Kiev avec Maureen Mercier :
- "Cette affaire-là, c’est malheureusement pas une surprise en Ukraine… la corruption, c’est presque une conséquence du ras-le-bol des Ukrainiens." — Maureen Mercier (06:07)
- Les révolutions de 2004 et 2014 étaient déjà des réactions populaires massives contre la corruption endémique.
- Lueur d’espoir : les scandales ne sont plus étouffés, ils éclatent publiquement, signe "que le pays avance, même si ça se fait dans la douleur".
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Sur la perception de Zelensky :
- Il doit agir, "il n’a pas le choix" (08:07) face à des citoyens qui se battent et meurent pour l’indépendance, alors que des dirigeants détournent de l’argent.
- Perte de naïveté : "Les Ukrainiens ne se font pas d’illusions… Qui viendrait à la place [de Zelensky] ne fait pas rêver."
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Effet amplifié par la situation énergétique :
- "J’habite au centre-ville de la capitale… J’ai quatre heures d’électricité par jour en moyenne." — Maureen Mercier (09:41)
- Corruption dans l’énergie = colère renforcée, car rationnement et pénuries frappent même loin du front.
3. Réactions Internationales et Enjeux pour l’Aide et l’Europe (11:19 – 13:31)
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Instrumentalisation à l’étranger :
- Viktor Orban parle de "réseau mafieux de guerre". Donald Trump utilise l’affaire pour accuser à nouveau Zelensky de corruption (11:27).
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Préoccupations sur l’utilisation de l’aide :
- Georges Louis Boucher (Belgique) demande plus de garanties sur le suivi de l’argent et des armes envoyés à l’Ukraine (12:12).
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Attentes réformatrices des alliés :
- Le chancelier allemand rappelle l’exigence de réformes structurantes contre la corruption.
- Emmanuel Macron souligne :
"Est-ce que notre rôle est de donner des leçons, nous, à l’Ukraine ? Pas vraiment… La lutte contre la corruption fonctionne, puisqu’il y a des décisions qui sont ouvertes et des décisions aussi politiques qui sont prises." — Emmanuel Macron (12:46)
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L’UE accueille favorablement la transparence comme gage d’adhésion future (13:31).
4. Où en est la lutte anticorruption ? Perspective d’un expert (13:44 – 18:16)
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Corentin Eriché (UCLouvain, Transparency International Belgique) :
- Depuis 2014, progrès constants sur l’indice de perception de la corruption, malgré une rechute en 2024 (14:18).
- Le rapport de l’OCDE (mai 2025) : "le cadre de lutte contre la corruption en Ukraine est très ambitieux et au-dessus de la moyenne OCDE."
- Ukraine toujours loin du sommet (score de 35/100, 105ème mondiale), mais dynamique nettement positive par rapport à la Russie ou à d’autres pays candidats à l’UE.
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Efforts structurels :
- "Arsenal légal" solide, indépendance effective du Bureau national de prévention de la corruption (16:45).
- L’adhésion à l’UE comme "carotte" puissante pour accélérer les réformes.
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Relativité du chemin à parcourir :
- "On ne peut pas s’imaginer que l’Ukraine devienne du jour au lendemain aussi vertueuse que le Danemark…" — Corentin Eriché (15:53)
5. Changement de Culture et Innovation contre la Corruption (18:45 – 20:52)
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Changements sociétaux observés en Ukraine :
- Mobilisation des jeunes, culture de dénonciation qui s’installe malgré la guerre.
- Numérisation de nombreux services : "Vous allez recevoir sur votre téléphone une contravention… vous n’aurez plus un policier qui essaiera de vous gratter des billets." — Maureen Mercier (19:16)
- Les citoyens exigent plus souvent des justificatifs et factures même lors de contrôles policiers.
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Numérisation, un levier efficace :
- Le contact direct avec les fonctionnaires étant un des principaux vecteurs de corruption, la digitalisation réduit ce risque.
- Malgré la guerre, des fonds sont réservés à l’anticorruption, et l’indépendance des institutions se voit sur le terrain (20:12).
6. Comparaison avec la Russie et Lecture Internationale (20:52 – 22:18)
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Classement et dynamique sur l’indice Transparency International :
- En 2014, Ukraine encore derrière la Russie (vers 140e place).
- En 2025, Ukraine est passée à la 105e place (score : 35), Russie tombée à la 159e place (score : 22).
- "En 10 ans, l’Ukraine a gagné 40 places, la Russie en a perdu 20." (21:49)
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Macron tranche :
"…On n’assistera jamais à un scandale similaire à celui de l’Ukraine en Russie, tout simplement parce qu’il n’y a là-bas aucune institution pour mener une telle lutte." (21:59)
7. Zelensky face au scandale : Fragilisation et attentes (22:18 – 24:09)
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Fragilisation politique :
- "Forcément, que le prochain président… aura des gens dans son entourage qui baigneront dans des affaires de corruption… ça fait partie malheureusement encore et toujours de ce contexte ukrainien." — Maureen Mercier (22:51)
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Circulation de l’argent sale à l’international :
- Argent de la corruption déposé en Suisse, appel à la coopération européenne pour la traçabilité et l’exigence de rendre des comptes.
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Attente de partenariat :
- "Les Ukrainiens… attendent vraiment une aide, y compris de chez nous, pour assurer la traçabilité et lutter contre la corruption" (24:09).
8. La corruption, un problème universel et sans fin (24:09 – 26:48)
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Rappels sur l’universalité de la corruption :
- "La lutte contre la corruption n’est jamais terminée… même nos pays ne sont pas exempts de corruption" — Corentin Eriché (24:39)
- Référence à plusieurs scandales récents en Europe (Huawei, Qatargate, dossiers impliquant des hauts responsables européens ou belges).
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Lutte anticorruption : enjeu social et démocratique fondamental
- "Ce n’est pas seulement de la cupidité… c’est aussi des conséquences négatives pour les populations : accès aux services de base comme l’hôpital, l’eau, l’électricité, la protection policière" (25:59).
9. Conclusion (26:56 – 27:31)
- L’Ukraine reste fortement affectée par la corruption, mais des progrès et changements tangibles se manifestent, même en pleine guerre.
- Les institutions anticorruption fonctionnent et avancent malgré la pression extrême, en partie grâce à une forte volonté de la population, à l’incitation de l’UE et à une culture en mutation.
- Dans toute démocratie, la force et la transparence des institutions sont clés dans la lutte, et ce combat n’a pas de fin définitive mais des étapes et des progrès.
Moments-clés & Citations Notables
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[04:14] Volodymyr Zelensky :
"J'estime que la ministre de l'énergie et le ministre de la justice ne peuvent plus rester en fonction. C'est une question de confiance." -
[06:07] Maureen Mercier :
"Cette affaire-là, c’est malheureusement pas une surprise en Ukraine… la corruption, c’est presque une conséquence du ras-le-bol des Ukrainiens." -
[12:46] Emmanuel Macron :
"La lutte contre la corruption fonctionne, puisqu’il y a des décisions qui sont ouvertes et des décisions aussi politiques qui sont prises." -
[15:53] Corentin Eriché :
"On ne peut pas s’imaginer que l’Ukraine devienne du jour au lendemain aussi vertueuse que le Danemark…" -
[19:16] Maureen Mercier :
"Lorsque je rentre chez moi en Suisse, j’ai l’impression d’arriver au Moyen-Âge… La numérisation va à toute vitesse en Ukraine." -
[22:51] Maureen Mercier :
"Forcément que le prochain président… aura des gens dans son entourage qui baigneront dans des affaires de corruption…"
Pour retenir
L’Ukraine lutte toujours avec l’héritage d’une corruption structurelle, mais cette affaire, loin de n’être que négative, offre aussi des signes tangibles d’un changement de culture et de gouvernance. La transparence, la numérisation et l’incitation européenne apparaissent comme des leviers clés, tandis que la société ukrainienne, lucide mais déterminée, aspire à un État plus intègre – et à ce que ses alliés réclament et soutiennent cette trajectoire.
