Résumé détaillé de l’épisode
Les Clés – #médias : Qui possède les médias belges ?
Date : 27 novembre 2025
Durée : environ 30 minutes
Host : Marie Van Kutsem (avec la participation principale d’Olivier Standart, professeur à l’UCLouvain et directeur de l’école de journalisme de Louvain)
Thème principal
L’épisode explore en profondeur la question de la concentration des médias en Belgique francophone, notamment à travers l’exemple de la fusion annoncée entre IPM et Rossel, deux des principaux groupes de presse du pays. Les intervenants questionnent l’impact sur la diversité de l'information, le pluralisme, l’indépendance éditoriale, et examinent les enjeux économiques et structurels qui motivent le phénomène de concentration.
Grandes sections de l’épisode
1. La fusion IPM-Rossel : Déclencheur du débat
(00:00 – 03:25)
- Contexte : En juin, IPM et Rossel annoncent leur fusion, soumise à l’autorisation de l’Autorité belge de la Concurrence.
- Enquête au cœur du débat :
- Faut-il craindre pour la diversité de l’information ?
- “Est-ce que la diversité de l'information est maintenue ou bien au contraire le contenu des journaux est-il de plus en plus le même ?” – Marie Van Kutsem, (00:10)
- Les groupes justifient la fusion par la nécessité de s'adapter à un secteur “très concurrentiel” et de défendre “l’information de qualité”.
- “C’est un modèle économique qui coûte cher (…) on est arrivé à la conclusion (…) que la meilleure façon de défendre la presse (…) dans ce futur environnement de plus en plus digital, c’était de s’unir.” – François Léaudet, CEO d’IPM, (01:26)
- Réactions politiques :
- Inquiétudes sur le pluralisme “La menace est réelle si on n’a pas de garantie de garder une information de qualité, une presse indépendante et le pluralisme.” – Bénédicte Linard, ancienne ministre des Médias, (02:11)
- Bernard Marchand (CEO Rossel) nuance : “Ce n’est pas Bernard Marchand qui fait l’information dans Le Soir, ni dans La Libre. Ce sont les rédactions en chef (…) qui ont une autorité totale sur les contenus.” (02:34)
2. Historique de consolidation et mutations du secteur
(03:25 – 06:20)
- Rappel des dernières fusions et rachats notables :
- IPM rachète L’Avenir (2020)
- Rossel & DPG Media rachètent RTL Belgium (2021-2023)
- Difficultés économiques pour LN24, chaîne d’info du groupe IPM, qui licencie et change de modèle.
- Discussion autour de l’arrivée potentielle de Vincent Bolloré comme actionnaire.
3. Pourquoi cette concentration ? Enjeux technologiques et économiques
(06:21 – 10:48)
- Olivier Standart insiste sur le changement drastique du marché :
- “Parmi les tout gros acteurs, on se dirige vers un marché très concentré (…) c’est une tendance déjà vue en Flandre.”
- Facteurs technologiques majeurs : télévision satellite, web, réseaux sociaux, mobile, plateformes numériques et aujourd’hui l’IA.
- “Le rythme auquel ces changements se succèdent (…) met le secteur sous pression.” (07:45)
- Dominance des GAFAM sur “règles, standards, données, investissements publicitaires”, tandis que la régulation “a souvent un temps de retard”. (08:25)
Modèle d’affaires sous tension :
- Suppression de l’aide fédérale à la distribution papier : problématique pour l’équilibre économique.
- Question de la convergence des médias :
- La RTBF, service public en accès gratuit sur le numérique, perçue comme une concurrence déloyale.
- Le web “a hybridé les marchés”, rendant “les lignes de démarcation” floues entre les différents types de médias. (09:46)
4. Concentration : définitions, enjeux concrets et comparaisons européennes
(10:54 – 16:00)
- Définition de la concentration :
- Quantitatif : pourcentage de parts de marché détenu par un acteur unique
- Qualitatif : effet sur l’autonomie des rédactions, l’emploi, le contenu éditorial.
- “Ce n’est pas parce que vous avez un même propriétaire qu’il y a nécessairement un problème dans les rédactions. Mais la question doit se poser.” – O. Standart (11:05)
- Économie d’échelle et rationalisations attendues dans un marché exigu.
- Comparaison avec la France :
- “Il faut distinguer le marché français – marqué par de grands actionnaires diversifiés politiquement – du marché belge francophone, plus familial et centré sur la presse.” (13:02)
- IPM et Rossel assurent qu’il n’y aura pas fusion des titres.
- Sur la cohabitation des titres locaux : “L'identité des deux titres, d’un point de vue éditorial, fait sens. (…) Mais la question, c’est de savoir dans quelle mesure ils peuvent atteindre une forme de rentabilité.” (13:44)
5. Spécificités du marché belge et comparaison avec la Flandre
(16:00 – 19:57)
- Extrait marquant : “En France, on a pour 8 millions d’habitants un groupe de presse ; chez nous, c’est un groupe pour 2 millions.” (14:59)
- La presse en Belgique francophone : petit marché, forte pénétration de médias français, faible prédisposition à payer.
- Évolution du paysage flamand :
- Sarah Poussey détaille la concentration : 9 groupes à 5 en 10 ans, DPG Média et Mediahuis dominent (80 à 100% du marché), présence d’acteurs familiaux et internationaux.
- Roularta, Télénet (entreprise américaine), VRT (service public) complètent le paysage (17:30-19:57).
6. Les raisons du regroupement – Asphyxie économique et réponse du marché
(19:57 – 22:02)
- Olivier Standart : “Le business de la presse a pu être profitable, ça l’est nettement moins aujourd’hui.” (20:56)
- Les revenus publicitaires sont “ponctionnés (…) par les plateformes”, provoquant un recentrage sur les revenus issus de l’audience locale.
- Pour survivre, les médias locaux doivent atteindre une “taille critique” ou se regrouper.
7. Quels garde-fous pour préserver le pluralisme ?
(22:02 – 23:12)
- L’école de journalisme de Louvain a été sollicitée pour contribuer à la rédaction d’une charte avec les groupes IPM et Rossel :
- “C’est une contribution pour pérenniser les statuts rédactionnels et les missions rédactionnelles en les pensant en termes de pluralisme.”
- Idéalement, “le scénario de la fusion n’était pas le scénario idéal du point de vue pluralisme externe”, mais il faut “bétonner” ce pluralisme via les structures internes (22:34).
8. Menace Bolloré et porosité franco-belge
(23:12 – 25:28)
- Arrivée possible de Vincent Bolloré dans le capital média belge :
- Jugé plausible par O. Standart, dans la lignée de sa stratégie d’expansion.
- Peut entraîner des impacts directs sur les lignes éditoriales et la gestion des rédactions, comme observé en France (journaux du dimanche, etc.).
- Présence de nouveaux visages à droite dans le paysage belge (21 News, émission de Cyril Hanouna sur Plug RTL).
- “C’est assez inédit qu'on ait un acteur aussi clairement positionné politiquement.” (24:33)
- Question sur l’adaptabilité du marché et de la culture journalistique belge à ce type d’actionnariat.
Citations et moments-clés
-
Sur le risque pour la diversité :
“[...] la menace est réelle si on n’a pas de garantie de garder une information de qualité, une presse indépendante et le pluralisme.” – Bénédicte Linard, (02:11) -
Sur l’évolution technologique :
“Ce qui est difficile pour les acteurs c’est le rythme auquel ces changements se succèdent [...] et la profondeur de leur impact sur les audiences.” – Olivier Standart, (07:45) -
Sur le rôle des GAFAM :
“C’est quand même eux qui, dans pas mal de paramètres, fixent les règles.” – O. Standart, (08:25) -
Sur la différence France/Belgique :
“On a ici un actionnariat familial dont le cœur de métier est la presse et les médias. La question se pose dans des termes un peu différents en Belgique francophone.” – O. Standart, (13:02) -
Sur la dimension locale et la rentabilité :
“L’identité des deux titres (avenir et Sudinfo), d’un point de vue éditorial, fait sens. (…) Mais il faut que ce soit rentable.” – O. Standart, (13:44) -
Sur l’impact potentiel de Bolloré :
“Chez nous, c’est inédit d’avoir un acteur aussi clairement positionné politiquement.” – O. Standart, (24:33)
Points d’attention et appel à l'esprit critique
- Concentration = Réalité économique, mais vigilance indispensable pour la diversité, l’indépendance, la qualité.
- Les garde-fous : régulation politique, chartes internes, rôle actif des rédactions… et vigilance citoyenne.
"Bien comprendre quels groupes sont derrière les médias que l’on consomme, c’est aussi conserver une forme d’esprit critique." – Marie Van Kutsem, (25:28)
Repères temporels pour les moments clés
- 00:10 : Interrogation sur la diversité du contenu
- 01:26 : Justification économique de la fusion IPM-Rossel
- 02:11 : Mise en garde politique sur le pluralisme
- 09:46 : Débat concurrence RTBF/presse privée et convergence des médias
- 11:05 : Définition et enjeux concrets de la concentration
- 13:44 : Importance de la cohabitation de titres locaux et de leur rentabilité
- 17:30-19:57 : Focus sur le paysage flamand, la concentration avancée de ce marché
- 22:02 : Rédaction de chartes internes pour garantir le pluralisme
- 24:33 : Question de l’arrivée de Vincent Bolloré et changement culturel potentiel
Conclusion du podcast
La concentration dans les médias belges francophones s’accélère, en particulier avec la possible fusion IPM-Rossel. Si elle répond à une impérieuse logique économique dans un contexte technologique mouvant et concurrentiel, elle pose d’importantes questions en termes de diversité, d’indépendance éditoriale et de vitalité démocratique. La vigilance doit rester de mise, venant à la fois des régulateurs, des professionnels mais aussi des consommateurs.
Pour aller plus loin : L’étude co-signée par Olivier Standart et Clémence Petit du CRISP offre une cartographie détaillée du secteur.
