Les Clés – Pourquoi nos prisons sont de + en + surpeuplées
Podcast: Les Clés (RTBF)
Date: 30 novembre 2025
Durée: ~35 minutes
Participants:
- Arnaud Ruyssen (Host/Interviewer)
- Vincent Spronck (Directeur, prison de Saint-Gilles)
- Olivia Nederlands (Professeure de droit pénal, UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, membre OIP)
- Cédric Tollet (Sociologue, Bruxelles Laïques)
- Sarah Poussey (Reporter)
Thème Général de l'Épisode
Cet épisode s'interroge sur l’explosion de la surpopulation carcérale en Belgique : pourquoi, depuis les années 1990, le nombre de détenus a plus que doublé, à tel point qu’on doit faire dormir des prisonniers sur des matelas au sol. À travers un reportage immersif dans l’ex-prison de Forêt et un débat avec des experts, l’émission déconstruit les idées reçues sur la prison, analyse les causes du phénomène et ouvre la réflexion sur d’autres solutions plus efficaces.
1. Reportage à la prison de Forêt (01:13 – 09:13)
Visite guidée de l’ancienne prison, par Sarah Poussey et Cédric Tollet.
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Architecture et organisation :
- La prison de Forêt, de style néo-renaissance (construite en 1910), suit un modèle panoptique : un poste central permet aux gardiens de contrôler toutes les ailes et cellules (02:16-02:46).
- Trois personnes par cellule de 9m², avec matelas au sol, pot de chambre, promiscuité extrême et insalubrité (03:41-04:31).
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Vécu carcéral :
- “Supporter cette promiscuité pendant 23 heures par jour, c’est absolument inhumain, inacceptable psychiquement.” – Cédric Tollet (04:06)
- “La prison est insalubre, que ce soit à Forêt, Namur, Saint-Gilles ou Lantin…” – Cédric Tollet (04:52)
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Démonstration d’une annexe psychiatrique :
- Cellules-cachots sans matelas, simple lit de béton, témoignages de pratiques punitives, lumière contrôlée par les gardiens — “On allume et on éteint à n’importe quelle heure… Ces moyens sont des outils de torture qui ont été utilisés ici.” – Cédric Tollet (07:50)
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Critique de l’imaginaire public sur les prisons :
- “On entend des discours comme ‘prison 4 étoiles’ ou ‘club med’… mais la réalité est très différente.” – Cédric Tollet (08:13)
2. Table Ronde : Surpopulation, réalités & causes (09:25 – 32:52)
A. La prison, un problème de société (09:25 – 13:26)
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La prison, entre passé et présent :
- “Il y a encore des annexes où on enferme des détenus malades… Mais attacher les gens à des lits, c’est contrôlé désormais. Il y a eu des améliorations, mais tout ne repose pas sur l’état des cellules.” – Vincent Spronck (09:45-10:57)
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Importance de l’ouverture au public :
- “La prison concerne la société tout entière… Il est important de savoir ce qui se passe dans les murs.” – Vincent Spronck (11:25)
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Désemparement et responsabilités collectives :
- “La réinsertion, c’est une responsabilité collective… sensibiliser, c’est aussi déconstruire l’idée qu’en prison, il n’y aurait que des monstres.” – Olivia Nederlands (12:13)
B. Réflexe carcéral, impasses des politiques actuelles (13:26 – 16:04)
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Un réflexe ‘prison’ trop automatique :
- “Il y a un réflexe carcéral en Belgique… La prison, ce n’est pas la solution, souvent c’est même un problème.” – Olivia Nederlands (13:37)
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Effets contre-productifs de l’incarcération :
- “C’est en mettant en prison qu’on est laxiste sur la sécurité… Ceux qui sortent, sortent en pire état.” – Vincent Spronck (15:27)
- “La prison est une usine à maladie mentale, à consommation de stupéfiants, à désinsertion… La sécurité n’est pas améliorée par le recours à la prison.” – Vincent Spronck (16:04)
C. Facteurs aggravants : étrangers, psychiatrie, législations récentes (16:04 – 23:45)
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Catégories problématiques en détention :
- 32% de détenus sans titre de séjour — “La prison sert d’annexe aux centres fermés.” – Vincent Spronck (16:53)
- Présence massive de personnes à lourds troubles psychiatriques mal prises en charge.
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Loi sur l’exécution des courtes peines (2022) :
- “Depuis 2022, toute peine de moins de 3 ans doit être exécutée en prison… On avait prédit une catastrophe et tout s’est passé comme annoncé.” – Vincent Spronck (17:33)
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Rôle de la détention préventive, de la longueur des peines et de la difficulté d’obtenir la libération conditionnelle :
- “Presque un tiers des détenus sont en détention préventive. Les peines sont longues et la libération conditionnelle est de plus en plus difficile à obtenir.” – Olivia Nederlands (21:45)
D. Les causes profondes de la surpopulation (23:45 – 28:38)
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Culture sociale et médiatique du “tout prison” :
- “On a été biberonnés à l’idée qu’il faut punir, que la prison nous protège… Mais quand on partage des recherches et des témoignages, les gens changent vite d’avis.” – Olivia Nederlands (26:15, 27:08)
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Rôle de l’opinion publique :
- “Même les politiques veulent vraiment trouver des solutions… Mais dès qu’ils sont au Parlement, ils votent l’inverse.” – Vincent Spronck (28:38)
3. Les solutions envisagées (28:38 – 33:14)
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Diminuer le nombre de détenus :
- “En prison, on enferme énormément — 100 pour 100 000 habitants, contre 52 aux Pays-Bas.” – Vincent Spronck (29:58)
- “Le tabou des tabous, ce serait un système de régulation carcérale avec un plafond maximal de détenus.” (29:58)
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Assouplir les conditions de libération anticipée :
- “Aujourd’hui, certains sont libérés six mois avant la fin de peine. Pourquoi pas un an ?” – Vincent Spronck (29:44)
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Réformer le sort des étrangers en séjour illégal :
- “Créer un statut pour les personnes non-éloignables, arrêter d’enfermer par défaut ceux qui ne peuvent pas vraiment être expulsés” – Olivia Nederlands (31:58-32:52)
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Refonder la réflexion sur la réinsertion :
- “On voit la prison comme une solution, une fin en soi. On ne pense pas assez à l’après, à la réinsertion et à ce que ça va générer dans la société.” – Interviewer à Olivia Nederlands (32:52)
- “Toute personne en prison, quelle que soit sa nationalité, doit être préparée à la réinsertion — que ce soit en Belgique… ou ailleurs.” – Olivia Nederlands (32:52)
4. Citations marquantes & moments clés
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Inhumanité des conditions (Réalisme du reportage, 04:06):
“Supporter cette promiscuité pendant 23 heures par jour, c’est absolument inhumain, inacceptable psychiquement.” — Cédric Tollet (04:06) -
Usine à déseins (16:04):
“La prison est une usine à maladie mentale, à consommation de stupéfiants, à désinsertion… La sécurité n’est pas améliorée par le recours à la prison.” — Vincent Spronck (16:04) -
L’échec de la politique actuelle:
“On avait prédit une catastrophe… toute la chaîne pénale a mis le Parlement au courant du danger qu’il y avait à voter cette loi, et ça a été voté en 2022.” — Vincent Spronck (17:33) -
Remise en cause du réflexe carcéral (13:37):
“Il y a un réflexe carcéral en Belgique… La prison, ce n’est pas la solution, c’est souvent même un problème.” — Olivia Nederlands (13:37) -
Responsabilité collective de la réinsertion:
“La réinsertion, c’est une responsabilité collective… Ce n’est pas possible si à la sortie il n’y a personne pour donner du travail à ces personnes, les accueillir, leur donner un logement.” — Olivia Nederlands (12:13)
5. Timestamps des segments majeurs
- [01:13–09:13] Reportage immersion dans la prison de Forêt
- [09:25–13:26] Table ronde : prison, passé et présent, ouverture au public, initier le débat
- [13:26–16:04] Débat sur le réflexe carcéral et l’effet contre-productif des incarcérations
- [16:04–23:45] Catégories de détenus, réforme de la loi sur les courtes peines, détention préventive
- [23:45–28:38] Causes profondes : culture judiciaire, poids de l’opinion et des médias, changement de regard
- [28:38–33:14] Solutions politiques et structurelles, pistes alternatives, importance de la réinsertion
6. Ton et style
L’épisode mêle une approche de terrain très concrète (un reportage désabusé et clinique sur les conditions de détention) à un débat mêlant révolte, lucidité et appels à la responsabilité collective. Les invités revendiquent régulièrement la nécessité d’un regard plus informé et plus empathique sur la prison et sur le sort des personnes détenues, sans tomber dans l’angélisme.
Conclusion
La surpopulation carcérale en Belgique n’est ni une fatalité, ni seulement une question de murs ou de matelas : elle trouve ses racines dans une politique pénale et une culture de la sécurité dominées par le réflexe de l’enfermement, aggravées par des lois récentes et par l’opacité entourant encore largement le monde carcéral. Plus qu’un problème logistique, l’afflux de détenus pose la question du sens même de la peine, de la place des plus fragiles, et de la capacité de la société à prendre soin, plutôt qu’à exclure et aggraver les fragilités. L’émission plaide, chiffres et expérience à l’appui, pour un changement profond, passant par l’éducation du public, la réinsertion, et la réforme structurelle du système pénal.
