Les Couilles sur la table – Les escrocs de l’amour (1/2)
Podcast de Binge Audio, diffusé le 4 décembre 2025
Animé par Thalma Desta avec Valentina Péry (anthropologue) et Alexandre Kaufmann (journaliste)
Thème de l’épisode
Cet épisode se plonge dans l’univers des « arnaques sentimentales », aussi connues sous le nom « d’escroqueries à l’amour » orchestrées par des « brouteurs ». À travers récits de victimes et analyses, il dévoile la mécanique de ces arnaques qui commencent par de fausses promesses romantiques et conduisent à la ruine émotionnelle et financière. L’épisode met l’accent sur la manipulation mentale, la construction de l’emprise, le profil des victimes (majoritairement des femmes de plus de 50 ans), et interroge sur la structure genrée de ces escroqueries.
L’invitation est de comprendre, sans juger, comment de telles emprises amoureuses se nouent, au croisement des imaginaires romantiques et des techniques de manipulation.
Points clés et structure par moments forts
Introduction à l’arnaque sentimentale (00:03 – 02:02)
- Lecture d’un message type d’escroc amoureux montrant l’intensité émotionnelle des premiers messages.
- Naomi Titi pose le cadre : Ce n’est pas un roman à l’eau de rose, mais ce que des victimes reçoivent de la part de « brouteurs » (escrocs sentimentaux).
« Un labyrinthe de mensonges et de violences psychologiques construits sur une promesse amoureuse. » (Naomi Titi, 01:16)
- Focus sur l’affaire du « faux Brad Pitt » :
- Une femme croyant vivre une histoire d’amour avec Brad Pitt se fait escroquer de 830 000 euros, subit en plus le cyberharcèlement et le mépris public.
- Augmentation de 6% des signalements d’arnaques sentimentales en 2024 en France.
Portrait d’une arnaque type – Le cas Muriel Sorbier (05:31 – 08:14)
- Présentation du contexte de Muriel Sorbier (victime relatée par Alexandre Kaufmann) :
- Veuve, deux filles, encouragée à rencontrer quelqu’un.
- S’inscrit sur un site de rencontre, rencontre Charles Leroux, « yeux bleu banquise, cheveux poivre et sel, mots enjôleurs » (06:11).
- Charles se présente comme multimillionnaire, mais vulnérable émotionnellement.
- Les premiers échanges sont structurés, attentionnés, mais peu originaux :
« Est-ce que tu aimes faire la cuisine à deux ?… Des questions très bateaux » (Victoire Tuaillon, 07:41)
- Muriel s’étonne de l’intérêt d’un homme aussi fortuné pour elle, mais le rythme, la tendresse et la constance opèrent.
Les scénarios et profils des brouteurs (08:14 – 12:15)
- Les canaux d’approche : sites de rencontres, réseaux sociaux, mails.
- Performance de la masculinité romantique :
- Les brouteurs jouent des stéréotypes d’hommes « forts mais vulnérables », riches, en recherche d’un amour sincère.
- Les scripts répertoriés s’inspirent de films hollywoodiens.
- Profil-type de victimes : femmes de 50-70 ans, parfois sans expérience de relations égalitaires ou avec des hommes « déconstruits ».
« Pour elles, c’est comme si, waouh, on rencontre l’amour pour la première fois. » (Valentina Péry, 09:14)
- Autres variantes : faux militaires, médecins à l’étranger, etc. Toujours une distance pour empêcher la rencontre physique.
Cibler la victime : stratégies et vulnérabilités (12:15 – 18:22)
- Techniques de ciblage :
- Les brouteurs analysent les profils Facebook, s’adaptent aux passions ou failles (animaux, enfants, séparations).
- Rapidement, via le « love bombing », ils deviennent omniprésents dans la vie de la victime.
- Construction du miroir : le brouteur adapte son storytelling aux confidences reçues, créant un effet miroir puissant qui renforce la proximité émotionnelle.
« Isole les victimes, crée des mécanismes de dépendance, les plonge dans la honte… abus du gaslighting… » (Victoire Tuaillon, 18:01)
- Parallèle avec les violences conjugales : les brouteurs déploient des processus similaires d’isolement, d’emprise et de manipulation.
Fabriquer une identité crédible (18:28 – 23:31)
- Créer des faux profils :
- Usurpation de photos d’influenceurs ; parfois usage d’IA (photos, traduction).
- Métier prestigieux, souvent très recherché ; importance de crédibiliser chaque détail (ville, habitudes, contexte local).
- Gestion de plusieurs identités requiert une grande organisation, c’est un vrai « métier ».
- Liberté narrative :
- Le plus souvent, la vie du « faux » n’est qu’inspirée de la personne réelle dont l’identité est volée.
Le temps de l’emprise et l’irruption de l’argent (24:29 – 29:54)
- Installation patiente de la confiance :
- Pour les femmes, la demande d’argent n’arrive qu’après plusieurs semaines/moi, tandis que chez les hommes cibles, c’est plus immédiat.
- Parfois, le brouteur refuse d’emblée l’aide financière de la victime (pour renforcer l’emprise).
« L’emprise c’est aussi que souvent la victime, c’est elle justement qui s’offre de l’aider… » (Valentina Péry, 26:10)
- Argumentation pour la demande d’argent :
- La « détresse » du brouteur est indirecte et toujours justifiée (fille malade, soucis d’affaires).
- Vient le tour du « syndrome du sauveur », où la victime pense réparer la situation, être utile (29:22).
- Techniques du remboursement futur, urgence, promesses de retour de l’investissement, etc.
- Dispositifs logistiques élaborés : envois de fleurs, relais pour livraison de cadeaux en France.
Contrôle et illusion de maîtrise (29:54 – 32:44)
- Donner le sentiment que la victime choisit et maîtrise la relation :
- Exemple : Muriel refuse certaines rencontres, pense être à l’initiative.
- C’est essentiel pour l’emprise :
« Le contrôle facilite la confiance, facilite la relation, et c’est ça qui fait qu’on croit à toutes les choses invraisemblables… » (Valentina Péry, 30:51)
- Création d’un « théâtre relationnel » :
- Multiplication de personnages accessoires (fille malade, ex, amis…) pour justifier retards, dettes, urgences et éloignement.
- Cela aide à maintenir le triangle du « bouc émissaire », du sauveur et du héros en détresse.
Suspension du réel, mélodrame et désir sans obstacle (32:44 – 36:07)
- Multiplication des empêchements de rencontre :
- Accidents, maladie, problèmes d’affaires, urgences médicales…
- Cette impossibilité permanente nourrit le désir, fait durer l’excitation amoureuse.
« On se dit mais comment entretenir une relation avec quelqu’un qui se dérobe sans cesse... Et finalement… c’est une sorte de lune de miel prolongée…» (Alexandre Kaufmann, 33:05)
- Référence à la structure du mélodrame : l’impossibilité permanente de consommer l’amour, le report sans fin, le climax dramatique.
- Acceptation du fantasme :
- Le brouteur valide n’importe quel récit/fantasme de la victime, sans jamais contredire (36:07).
Scripts, love bombing et fragilité du soupçon (36:07 – 40:32)
- Scripts très explicites :
- Messages d’amour très intenses dès le début (« Tu habites mes nuits, tu habites mes jours… » 37:36).
- Pourquoi cela passe-t-il ?
- Lorsque l’emprise est installée, la logique et le soupçon sont anesthésiés par la répétition et la régularité de l’attention reçue.
- Love bombing :
« C’est un travail de faire vivre un rêve à la victime…» (Valentina Péry, 38:32)
- Vulnérabilité liée à l’âge :
- Chez les victimes plus âgées, il y a aussi l’espoir que ce soit la « dernière chance » à l’amour.
- Le cas extrême de Marie-Jo, 82 ans, partie en Côte d’Ivoire pour rejoindre son brouteur de 28 ans (40:19).
La bascule psychique : le cas du « vrai » Charles Leroux (40:52 – 44:23)
- Moment-charnière pour Muriel :
- Elle se rend sur le vrai yacht de Charles Leroux pour le confronter, rencontre le « vrai » qui la rejette (« Je vous connais pas madame, descendez tout de suite de mon bateau » – 41:31).
- Malgré l’évidence, Muriel ne rompt pas le lien avec le brouteur : elle crée un récit où le vrai et le faux Charles coopèrent contre elle – mécanisme du déni ou du désaveu.
- Persistance du piège :
« Après cette rencontre-là, elle lui enverra encore 160 000 euros…» (Victoire Tuaillon, 43:24)
- Analyse du phénomène psychique :
- Ce n’est pas un déni total (déconnexion du réel), mais un « désaveu » – la coexistence du fantasme et du soupçon, avec préférence pour croire au fantasme.
Citations marquantes
- « Un labyrinthe de mensonges et de violences psychologiques construits sur une promesse amoureuse. »
– Naomi Titi (01:16) - « Pour elles, c’est comme si, waouh, on rencontre l’amour pour la première fois. »
– Valentina Péry (09:14) - « Le contrôle facilite la confiance, facilite la relation, et c’est ça qui fait qu’on croit à toutes les choses invraisemblables… »
– Valentina Péry (30:51) - « On se dit mais comment entretenir une relation avec quelqu’un qui se dérobe sans cesse... Et finalement… c’est une sorte de lune de miel prolongée…»
– Alexandre Kaufmann (33:05) - « Ce qui me fascine, c’est le niveau de détail des arnaques. »
– Victoire Tuaillon (36:51) - « C’est un travail de faire vivre un rêve à la victime. »
– Valentina Péry (38:32) - « Après cette rencontre-là, elle lui enverra encore 160 000 euros…»
– Victoire Tuaillon (43:24) - « Au fond, l’inconsciente Muriel sait que ce n’est pas le vrai Charles, mais elle aimerait tellement que ce soit vrai. Donc c’est toujours le “je sais bien, mais quand même”. »
– Alexandre Kaufmann (44:25)
Pour aller plus loin (second épisode à venir)
La deuxième partie annoncée promet de dévoiler la suite du destin de Muriel, un portrait détaillé des brouteurs (organisation, quotidien) et l’histoire du terme lui-même, révélant encore d’autres facettes culturelles et musicales de l’escroquerie sentimentale.
En résumé :
L’épisode décrypte avec empathie, précision et rigueur le mode opératoire des arnaqueurs à l’amour, met en lumière les ressorts psychologiques de l’emprise, la vulnérabilité des victimes, le rôle des scripts masculins stéréotypés et la construction sociale du désir. Il invite à la compréhension bien plus qu’au jugement, et prépare l’auditeur à la suite du récit.
Timestamps utiles
- 01:16 – Manipulations sentimentales et promesses amoureuses
- 05:31 – Portrait de Muriel Sorbier, le cas exemplaire
- 08:15 – Stratégies de contact des brouteurs
- 12:09 – Scripts genrés et stéréotypés
- 14:14 – Ciblage, profiling et love bombing
- 18:28 – Création de faux profils et organisation méthodique
- 24:29 – Lente introduction de la demande d’argent
- 29:54 – Contrôle de la narration par la victime
- 32:44 – Mélodrame et empêchement perpétuel
- 36:07 – Le « love bombing » et la suspension du soupçon
- 40:52 – La bascule psychique, confrontation au réel
- 43:24 – Analyse du déni/désaveu et piège psychologique
Style et ton
Le ton est analytique, bienveillant, très didactique, croisant le témoignage, l’enquête, la sociologie et la psychologie, et fait le choix délibéré de ne jamais blâmer les victimes mais de déconstruire les structures de manipulation.
