Les Couilles sur la table — Police : la fabrique des cow-boys (1/2)
Épisode 128 — Diffusé le 20 novembre 2025
Animé par Tal Madesta | Invité·es : Leila Mignano (journaliste, YouPress) et Mathilde Arlet (sociologue, IRIS)
Thème général de l’épisode
Cette première partie d’un diptyque examine la question des violences policières à travers le prisme des masculinités : d’où vient la brutalité policière ? Comment la culture viriliste façonne-t-elle l’institution ? Quels liens entre sexisme, racisme et pouvoir ? Avec la journaliste d’investigation Leila Mignano et la sociologue Mathilde Arlet, l’émission explore le terrain des violences sexuelles et sexistes commises par des policiers, la culture interne de solidarité masculine et l’impact (ou non) de la féminisation de la police.
L’épisode propose une immersion dans la "fabrique" des cow-boys : comment la police demeure un bastion de virilité, comment l’institution protège les coupables, et pourquoi les témoignages sont rares et difficiles à rendre publics.
1. Mise en contexte : l’actualité et la problématique (02:26—05:36)
- Retour sur des faits divers récents (viols reprochés à des policiers de Bobigny, vidéos de la manifestation de Sainte-Soline où des CRS se vantent d’avoir « couché » des manifestants).
- Tal Madesta pose le constat d’une culture violente, encouragée par l’arsenal des armes, la majorité masculine (71% d’hommes) et une forte impunité.
- Les violences sexuelles et sexistes au sein de la police touchent particulièrement :
- jeunes hommes racisés des quartiers populaires,
- travailleuses du sexe,
- femmes victimes de violences conjugales venues porter plainte.
- Principales questions posées :
- En quoi virilité et blanchité structurent-elles le fonctionnement policier ?
- Les femmes policières changent-elles la donne ?
- Pourquoi si difficile de faire entendre la voix des victimes ?
Citation :
"Les affaires sont légions et les preuves sont là, même si les témoignages restent encore trop peu nombreux à cause des craintes de représailles."
(Naomi Titi, 01:04)
2. L’enquête MeTooPolice — Récit d’une immersion et état des lieux (06:02—08:09)
Leila Mignano détaille la démarche de son enquête MeTooPolice pour Disclose :
- Origine : une victime contactant une journaliste révèle que son agresseur, élève policier, n’a pas été inquiété malgré sa plainte.
- Constat : de nombreux cas déjà médiatisés, mais jamais d’enquête systémique.
- Méthode : recherches open source, sollicitations d’avocat·es, contact avec des victimes souvent silencieuses par peur de représailles internes.
- Résultats :
- 429 victimes recensées,
- 215 officiers impliqués,
- des actes allant d’agressions sexuelles à dépôt de plainte non suivi d’effets.
Citation :
"À aucun moment donné, la question du système n'avait été posée, et c'est comme ça qu'on s'est lancés dans l'enquête."
(Leila Mignano, 07:00)
3. L’organisation de la police et l’imaginaire viriliste (08:10—11:04)
Mathilde Arlet propose une cartographie de la police française :
- Trois types de services principaux :
- Police d’ordre (protection état, maintien de l’ordre),
- Police judiciaire (répression des crimes, autonomie forte),
- Police de tranquillité publique (patrouille générale, 75% des effectifs).
- Le recrutement s’opère sur un imaginaire de « chasse aux bandits », conforme à un idéal viril et héroïque.
Citation :
"La représentation du métier vient jouer en effet sur le choix des cibles sur lesquelles on se concentrera."
(Mathilde Arlet, 10:53)
4. La masculinité viriliste au cœur de la culture policière (11:05—17:56)
- Culture d’exclusion féminine ancienne : féminisation tardive (années 1970), femmes cantonnées aux tâches administratives ou peu valorisées.
- La sociabilité professionnelle entre policiers est saturée de références viriles, d’humour sexuel, de « performances » hétérosexuelles mises en scène, notamment lors des patrouilles contre le travail du sexe ou dans les moments de détente.
- Les chercheur·es mêmes sont sexualisé·es lors de leurs observations.
- Ce culte viril s’exacerbe particulièrement dans les unités d’intervention prestigieuses et axées sur la force : BAC, CRS, etc.
Citation
"On s'est retrouvé dans un contexte professionnel hyper sexualisé où la mise en scène de ses propres performances sexuelles et hétérosexuelles par les hommes policiers était récurrente."
(Mathilde Arlet, 15:28)
Citation
"Ces formes de valorisation de la virilité, on les a trouvées particulièrement exacerbées dans des unités qui sont spécialisées dans l'usage de la force."
(Mathilde Arlet, 16:47)
5. Le profilage des victimes et les méthodes de prédation (17:56—22:17)
- Tout grade confondu chez les auteurs. Pour les victimes internes à la police (collègues), supérieurs hiérarchiques dans 70% des cas.
- Pour les victimes externes (plaignantes, femmes gardées à vue...), profilage systématique des cibles vulnérables (victimes de violences conjugales, femmes isolées, racisées, travailleuses du sexe, etc.).
- Les policiers disposent de moyens de prédation spécifiques : accès aux fichiers, armes, autorité institutionnelle, manipulation psychologique.
- Exemple : contact récurrent avec des victimes via leurs données personnelles obtenues grâce à leur statut.
- Intimidation, dénigrement auprès de collègues, pression institutionnelle pour faire taire les accusations.
Citation
"N'importe qui face à l’uniforme, la plupart des personnes face à l'uniforme, de toute façon, on est en situation de vulnérabilité."
(Leila Mignano, 21:36)
6. L’ampleur du phénomène et la sous-estimation statistique (23:31—24:26)
- Les chiffres recensés dans l’enquête sont considérés par les invitées comme une goutte d’eau par rapport à la réalité.
- Indicateur : Selon la Défenseure des droits, les femmes policières sont les victimes les plus nombreuses de la fonction publique pour les violences sexistes et sexuelles.
Citation
"C’est une goutte d’eau. Malheureusement, on aimerait vous dire que c’est exhaustif et que le chiffre noir des violences sexuelles commises par la police existe. Mais malheureusement, aujourd’hui, il n’existe pas."
(Leila Mignano, 23:40)
7. Femmes policières : marges d’intégration et reproduction des normes (24:26—28:28)
- Féminisation réelle mais ségréguée : peu de femmes sur le terrain, surtout affectées à l’administratif (80% des femmes) et très peu dans les unités d’intervention (3% chez les CRS).
- Intégration difficile, attentes contradictoires ("ni princesse ni garçon manqué").
- Pour être acceptées, les policières tendent à adopter des postures virilisées et, parfois, à adopter les préjugés sexistes de leurs collègues masculins, voire à tenir des discours misogynes eux-mêmes.
- Elles sont moins envoyées dans les quartiers considérés comme « dangereux » pour elles ; on justifie cette exclusion par le sexisme que l’on prête aux jeunes hommes racisés des quartiers.
Citation
"L’acceptation sur le terrain passe par des formes de virilisation de leurs comportements."
(Mathilde Arlet, 27:08)
Citation
"Sur notre terrain, on le voyait beaucoup à travers les figures du jeune de quartier ou du petit con à scooter, qui étaient des figures éminemment racisées."
(Mathilde Arlet, 28:28)
8. Femmes policières et violences, collaboration et lanceuses d’alerte (30:21—33:27)
- Très rare que les policières soient autrices directes de violences sexistes et sexuelles ("99,9%" des auteurs sont des hommes), mais collaboration/omerta fréquente.
- Spectre de la passivité ("je n’ai rien vu") à la complicité par moquerie ou silence sur des groupes WhatsApp internes — photos humiliantes circulant entre collègues.
- Les jeunes femmes issues de la génération post-MeToo montrent davantage de volontarisme pour dénoncer ces faits, souvent au prix d’une grande solitude ou de rétorsions.
- Des hommes lanceurs d’alerte existent mais finissent généralement marginalisés ("Briser le mur du silence, ça coûte très très cher").
Citation
"Blue Wall of Silence, c’est-à-dire cette confrérie sacrée. C’est une confrérie sacrée avec ses codes, avec cette solidarité dans les bons comme dans les mauvais moments."
(Leila Mignano, 34:08)
9. L’impunité institutionnelle (34:55—36:47)
- Les faits signalés sont très rarement sanctionnés à la hauteur de leur gravité :
- En 2023, 43 gendarmes reconnus coupables, 3 seulement radiés.
- La plupart des affaires s’arrêtent à la hiérarchie directe et ne sont pas transmises à la justice ou à une commission disciplinaire.
- Réitération des actes fréquente, y compris sur des victimes internes très vulnérables (stagiaires, femmes en situation précaire).
Citation
"On a une personne, par exemple, un brigadier qui a fait 25 victimes en une année."
(Leila Mignano, 36:47)
Citation
"On savait que c’était un homme léger, qu’il avait des aventures, etc."
(Leila Mignano racontant les excuses de la hiérarchie, 37:06)
10. Pourquoi les victimes se taisent (vulnérabilité et peur) (37:47—39:48)
- Les profils de victimes sont systématiquement vulnérables : stagiaires, personnes étrangères, femmes sans ressources, travailleuses du sexe, etc.
- L’omerta est mise en place parce que la victime dépend de ses agresseurs pour la suite de sa procédure (plainte, garde à vue, avancement de carrière).
- Témoignages de victimes qui, après avoir déposé plainte, sont harcelées ou manipulées par les policiers en position d’autorité.
- Conduites intrusives, promesses d’aide ou d’avantage en échange de faveurs sexuelles, menaces à peine voilées.
11. Prise en charge (ou non) des victimes dans les commissariats (39:48—45:26)
- Pour les victimes externes, venue au commissariat souvent vécue comme "dernier recours" puis occasion d’une nouvelle trahison.
- Dispositifs post-Grenelle (vignette orange, présence de psychologues) existent, mais stéréotypes sexistes persistent ("elle l’a bien cherché", "fausse dénonciation").
- Les victimes sortant de leur rôle social (mère médiatrice, épouse conciliatrice) sont jugées peu crédibles ou accusées de manipulation.
- Le concept de "bonne victime" continue de peser dans l’évaluation policière : doivent être passives, vulnérables, éplorées.
Citation
"Il y a cette croyance encore répandue sur le fait que les victimes seraient elles-mêmes à l'origine des violences (...). Elles seraient un peu bizarres, c’est un terme qu’on entend aussi assez souvent."
(Mathilde Arlet, 46:52)
12. Le traitement spécifique des dossiers pour violences sexuelles et conjugales (45:26—50:19)
- La difficulté d’appréhender la dissociation traumatique, qui est interprétée comme consentement ("si elle n'a pas résisté, ce n'est pas un viol").
- La notion de consentement longtemps absente de la loi, polices focalisées sur les cas "idéaux" (viol par inconnu avec violence).
- Persistant soupçon de fausse accusation, syndrome d'aliénation parentale encore mobilisé pour discréditer les victimes dans les violences intrafamiliales.
- Les vraies accusations déjà trop souvent classées sans suite (85% pour les violences sexuelles).
Citation
"Dès qu'une victime ne colle pas exactement à cette image de la bonne victime, sa sincérité, sa crédibilité se retrouvent aussi mises en doute."
(Mathilde Arlet, 47:41)
13. Violences conjugales commises par des policiers (51:02—53:34)
- Rapport confidentiel : au moins 470 policiers, 430 gendarmes auteurs de violences conjugales.
- "Comme dans l’église", la fermeture du milieu policier, l’autorité (arme, uniforme) et l’auto-sélection de profils virilistes expliqueraient cette surreprésentation.
- Le livre « Silence en Cogne » de Sophie Boudboul et Alizé Bernard décrit ces dynamiques de domination et d’impunité.
14. Le mépris systémique des dossiers de violences conjugales (53:34—54:46)
- La culture professionnelle valorise toujours les « vrais dossiers » (criminalité, action de terrain) et dénigre le traitement des affaires "domestiques", vues comme subalternes.
- Ces préjugés sont tenus aussi bien par des hommes que par des femmes policières, dont l’intégration passe par l’adhésion à ces normes.
Citation
"Il faudrait dire aux gens de régler leurs problèmes. Il y en a qui ont vraiment besoin de la police."
(Rapporté par Mathilde Arlet, 54:24)
15. Conclusion de la première partie (54:46—fin)
- La deuxième partie, à paraître le 27 novembre 2025, portera sur les dynamiques de ciblage des minorités et sur l’usage de la violence comme outil de contrôle/dominance.
- Appel aux auditeurs pour diffuser le podcast, soutenir le travail d’enquête et de débat sur les masculinités.
Timestamps et moments-clés à retenir
- Début de l’épisode — contexte, citations choc CRS : [00:10–01:04]
- Présentation de l’enquête MeTooPolice : [06:02–07:11]
- Organisation et culture viriliste dans la police : [08:30–11:04]
- Sociabilité viriliste et sexualisation interne : [14:21–16:39]
- Méthodes de prédation et profilage des victimes : [17:56–22:17]
- Impunité institutionnelle, blue wall of silence : [34:08–36:47]
- Incapacité à sanctionner malgré les chiffres : [35:19, 36:47]
- Victimes piégées et harcelées par leurs agresseurs : [37:47–40:36]
- Stéréotypes sur les "bonnes victimes", soupçon de fausses plaintes : [44:32–46:52]
- Chiffres sur policiers auteurs de violences conjugales : [51:36]
- Conclusion/annonce du prochain épisode : [55:04–fin]
Mémorables citations
-
"On ne parle pas publiquement contre la police comme on parlerait contre un autre individu. On se dit que cette personne-là, elle est armée. Elle travaille dans le commissariat d'à côté."
Leila Mignano — 07:16 -
"On est sur une immense majorité d’auteurs masculins, avec cette collaboration, ce laisser-faire parfois…"
Leila Mignano — 31:52 -
"Briser le mur du silence, ça coûte très très cher."
Leila Mignano — 34:08 -
"Dès qu'une victime ne colle pas exactement à cette image de la bonne victime, sa sincérité, sa crédibilité se retrouvent aussi mises en doute."
Mathilde Arlet — 47:41 -
"C’est pas un hasard si on est policier, parfois. Certaines personnes font le choix de la police parce qu'ils font le choix de la virilité."
Leila Mignano — 51:36
Pour aller plus loin
- Enquête MeTooPolice: sur Disclose (avec Leila Mignano, Sarah Benichou, Sophie Boudboul)
- Livre recommandé: Silence en Cogne (Sophie Boudboul, Alizé Bernard)
- Ouvrage collectif: Police et société en France (Presses de SciencesPo, 2023).
Ce résumé fidèle et dense permet de saisir toute la profondeur et les points forts de cet épisode, sans avoir écouté l'émission.
