Podcast Summary: Les Couilles sur la Table – Police : la fabrique des cow-boys (2/2)
Date: 27 novembre 2025
Host: Thalma Desta (Binge Audio)
Invitées : Leïla Mignano (journaliste d’investigation), Mathilde Darley (sociologue, spécialiste de la police)
Thème principal : Exploration des masculinités policières et des violences systémiques dans la police française, avec un focus sur les violences sexuelles et sexistes, l'impunité, le racisme institutionnel, et les perspectives de réforme ou d’abolition.
1. Introduction et Contexte de l’Épisode
- Dans ce second volet consacré à la police, l’émission poursuit son analyse sur la fabrique masculine et violente de l’institution policière française.
- L’épisode se concentre particulièrement sur les violences sexistes et sexuelles policières, la discrimination raciale lors des contrôles d’identité, et l’impunité structurelle qui protège les auteurs au sein de la police.
- Les invitées dévoilent l’ampleur du problème et les obstacles à la reconnaissance, à la réparation, et à la transformation du système policier français.
2. Violences sexuelles policières : chiffres, processus, silences
2.1 Témoignages et visibilisation du problème
00:06 – 05:19
- Leïla Mignano rapporte avoir identifié 45 victimes d’agressions sexuelles ou de viols commis par des policiers, en majorité des jeunes hommes racisés.
- « Il s'agit en majorité de jeunes hommes racisés… Ces fouilles qui tournent à l'agression sexuelle, se font de manière illégale en pleine rue… » (Leïla Mignano, 03:24)
- Rappel de l’affaire très médiatisée de Théo Luhaka, victime de violences policières en 2017, restée sans reconnaissance judiciaire du viol.
- Les fouilles à nu, les violences sexuelles lors de garde à vue, souvent hors cadre légal, constituent un angle mort de la recherche et de la dénonciation.
2.2 Dénégation et tabous judiciaires
05:19 – 07:29
- La quasi-impossibilité de voir reconnu le crime de viol dans ces affaires, la stratégie de la justice consistant à retenir l’absence « d’intention de violer ».
- « On essaye déjà de gagner les violences volontaires… sur les violences sexuelles policières, on est quasiment sûr de perdre. » (Leïla Mignano, 05:23)
- Le tabou freine la parole des victimes et le champ lexical employé isole ces violences du débat public.
2.3 Mineurs victimes et configurations spécifiques
07:29 – 10:16
- 18% des victimes recensées étaient mineures au moment des faits.
- Deux catégories : les mineurs « publics » (placés par l’ASE, venant déposer plainte) et les proches de policiers (abus dans la sphère privée).
- « Un enfant est vulnérable par définition, mais… des problèmes sociaux par ailleurs… Ces deux catégories vont être victimes de la police. » (Leïla Mignano, 08:07)
- Exemples d’abus de position de pouvoir par des policiers recueillant des plaintes.
2.4 Difficultés de qualification et de documentation
- Les affaires de pédocriminalité policière arrivent rarement à l’audience, peu d’études en France sur ce sujet.
- Les violences contre les femmes policières sont mieux documentées que celles contre mineurs ou hommes racisés.
3. Racisme institutionnel et discriminations : état des lieux des contrôles d’identité
11:02 – 16:04
- Mathilde Darley explique la « double singularité française » : maintien du contrôle d’identité comme outil central et déni des discriminations raciales en invoquant l’« universalisme républicain ».
- « Ces contrôles s’ancrent dans une culture professionnelle qui fait de l’origine et de l’apparence des critères professionnellement signifiants et acceptables. » (Mathilde Darley, 13:50)
- Les contrôles d’identité : 20 fois plus fréquents pour les jeunes hommes perçus comme arabes ou noirs (enquête Défenseur des droits 2016).
- Contrôles peu efficaces (95% sans interpellation), largement discriminatoires et parfois mortifères.
Notable Quote:
« Il n’y a pas d’enregistrement administratif de ces contrôles… un contexte d’intervention qui favorise les comportements déviants. »
(Mathilde Darley, 12:20)
- Débat sur la part du « mouton noir » vs culture institutionnelle : impunité systémique, condamnation parfois de l’État pour faute lourde, et pas des seuls agents.
4. La bascule de la reconnaissance publique : post-Gilets Jaunes et convergence des luttes
17:02 – 18:40
- Le mouvement des Gilets Jaunes a exposé à une population plus large la réalité des violences policières, générant une forme de « bascule » dans l’opinion publique.
- « On a là des groupes qui se retrouvent confrontés à des violences policières qui les avaient jusque-là épargnées… » (Mathilde Darley, 18:07)
- Apparition d’un début de convergence des luttes entre mouvements sociaux, antiracistes, féministes et écologistes.
5. Violences sexuelles dans la répression des manifestations et envers les travailleuses du sexe
5.1 Violences sexuelles comme arme de répression 18:40 – 20:37
- Les fouilles à nu, insultes sexistes et agressions sexuelles sont utilisées lors des manifestations (Gilets jaunes, retraites) pour intimider, humilier et décourager les manifestant(e)s.
- « Ce rôle de la violence sexuelle comme outil de répression est particulièrement efficace. » (Leïla Mignano, 19:57)
5.2 Travail du sexe, intersectionnalités et impunité 20:17 – 24:38
- Difficile documentation des violences policières envers travailleuses du sexe - souvent vécues comme « transactions » pour éviter une OQTF ou d’autres sanctions.
- « On s’attendait à ce que ce soit généralisé… pour beaucoup, c’était une prestation en nature. » (Leïla Mignano, 20:37)
- Multiplicité d’oppressions à l’intersection du racisme, du sexisme, de la transphobie, etc., avec un accès aux droits et à la plainte entravé (cf. étude Amnesty International citée par Mathilde Darley).
6. Masculinités, virilité policière et dévalorisation du « soin social »
24:59 – 28:10
- La compassion et la prévention sont dévalorisées dans la culture policière, associées au pôle féminin, opposées à l’image virile du maintien de l’ordre et à l’usage de la force.
- Référence à une déclaration de Nicolas Sarkozy en 2003 : « Les policiers sont là pour chasser les délinquants, pas organiser des matchs de rugby. »
- Les unités spécialisées dans les violences de genre montrent des « inflexions des normes de genre », mais les stéréotypes sexistes persistent y compris dans ces secteurs.
7. Attentes des victimes et (manque de) réponses institutionnelles
7.1 Qu’attendent les victimes ?
28:15 – 34:02
- Avant tout, la reconnaissance de leur souffrance, d’être crues et protégées, pas une quête systématique de condamnation pénale.
- « La reconnaissance de ce qui leur est arrivé, l’écartement de la personne qui dénonce… » (Leïla Mignano, 28:22)
- « Elles sont dans des demandes de paix pour elles-mêmes… à être entendues, reconnues et surtout à être tranquilles… » (Mathilde Darley, 34:02)
7.2 Manque de plan ministériel
- La police nationale est la seule administration à ne pas avoir de plan de gestion des violences sexuelles commises par ses membres (contrairement à l’armée).
- Les comportements de prédation sur personnes gardées à vue ne sont pas explicitement interdits en France.
7.3 Formations et sensibilisation 31:24 – 33:58
- Des dispositifs de formation existent (suite au Grenelle des violences conjugales, via le centre Hubertine Auclair), mais essentiellement pour les plus jeunes et il persiste une sous-représentation des policiers masculins.
- « Il y a un effet générationnel massif. » (Mathilde Darley, 32:43)
- Ces formations peinent à remonter dans la hiérarchie et à transformer en profondeur les pratiques et la culture.
8. Quels horizons pour changer la police ? Abolitionnisme, réformes et contradictions
34:39 – 39:08
- Évocation du courant abolitionniste (très développé aux États-Unis, émergent en France), qui fait une critique radicale de la police en tant qu’institution de maintien d’un ordre social, racial et patriarcal.
- « Cette pensée abolitionniste… propose de rendre la police obsolète. » (Mathilde Darley, 35:01)
- Discussion de « defund the police » : réinvestir les budgets de la police dans l’éducation, la santé et le logement.
- En France, ces idées restent confinées à l’extrême gauche, aux ONG et quelques collectifs militants ; le féminisme dominant demeure surtout « carcéral », misant sur la criminalisation.
9. Œuvres et ressources recommandées
39:08 – 41:41
- Leïla Mignano recommande :
- « De la sergote à la femme flic », de Geneviève Pruvost : sur le processus de féminisation de la police et les défis de la culture virile (40:01).
- Mathilde Darley recommande :
- « Mon vrai nom est Elisabeth », d’Adélyon : récit sur l’enfermement et les violences dans l’intime (40:02).
- Autres ouvrages cités : « Abolir la police » (collectif Matsuda), « 1312 raisons d’abolir la police » (Gwenoly Ricordo), « Défaire la police » (éditions Divergence).
- Ressources complémentaires mentionnées par Naomi Titti :
- Le film « Dossier 137 » de Dominique Molle
- Le podcast « Gardien de la paix » (Arte Radio)
- Le documentaire « Un pays qui se tient sage » (David Dufresne)
10. Notable Quotes & Moments
-
Sur la double singularité française :
« Le maintien de ces contrôles d'identité comme un outil de police, mais aussi le déni des discriminations qui les accompagnent... la police est nécessairement non raciste puisqu'elle est républicaine. »
(Mathilde Darley, 00:06 & 13:50) -
Sur la violence sexuelle comme outil policier :
« Ce rôle de la violence sexuelle comme outil de répression est particulièrement efficace. »
(Leïla Mignano, 19:57) -
Sur l’absence de réponse institutionnelle :
« Au ministère de l'Intérieur, il n'y a pas de plan [de gestion des violences sexuelles]. »
(Leïla Mignano, 28:22) -
Sur la demande première des victimes :
« La plupart de ces victimes cherchent à être reconnues, à être entendues, à être éventuellement protégées, mais ne cherchent pas à obtenir des condamnations pénales. »
(Mathilde Darley, 34:02)
11. Conclusion
- L’épisode met à nu la fabrication d’une masculinité policée, violente et protègeant ses membres, tout en cloisonnant les questions de genre, de race et de justice.
- Les invitées insistent sur la nécessité de sortir de l’aveuglement institutionnel français, de briser les tabous autour de la sexualité et du racisme policiers, et d’imaginer des pistes radicales—abolition ou refondation—pour enfin changer une culture de l’impunité.
Ressources citées et liens complémentaires
- Enquête « MeToo Police » de Disclose
- Ouvrages cités dans l’épisode
- Médias indépendants : Street Press, Le Bondy Blog, Mediapart, Disclose
- Collectifs militants : Immigration Banlieue, Vies Volées, Comité Adama
Résumé réalisé à partir de la retranscription complète de l’épisode.
Pour toute information complémentaire ou ressources, se référer à la description de l'épisode sur le site de Binge Audio.
