Les Couilles sur la table
Épisode : "Sex symbols : ces mecs qu’on fantasme"
Date : 23 octobre 2025
Host : Thalma Desta (pour Naomi Titi)
Invitée : Hélène Fisch (historienne, autrice de « Ce que le féminisme fait au cinéma »)
Aperçu général
Dans cet épisode, Thalma Desta reçoit l’historienne Hélène Fisch pour explorer la figure du sex-symbol masculin : qui sont ces hommes érigés en objets de désir collectif, comment sont-ils fabriqués par la culture populaire, que révèlent-ils du regard social sur la masculinité, et quelles dynamiques paradoxales et parfois violentes accompagnent leur représentation ? La discussion parcourt l’histoire culturelle du sex-symbol, de Clark Gable à Brad Pitt, en questionnant au passage les enjeux sociaux, de genre, de race et de classe, ainsi que la question de la violence et de la responsabilité des stars dans la société.
Thèmes centraux et points-clés
1. Définition, origine et critères du sex-symbol
- Définition du sex-symbol ([04:04])
- Terme apparu aux États-Unis dans les années 1920-30 via la presse : “ça qualifie une personnalité publique qui tire une grande partie de sa notoriété de sa sexualisation” (Hélène Fisch, [04:04]).
- Trois critères essentiels :
- Correspondre aux standards physiques de l’époque
- Mise en scène active de l’attractivité (médias, réseaux, collaborations…)
- Validation sociale : le consensus du public fait le sex-symbol
- Processus électif et difficilement prévisible.
2. Évolution historique des modèles masculins désirables ([06:04] – [13:40])
- Des modèles variés selon les époques et médias :
- Clark Gable (“The King of Hollywood” années 30) : virilité robuste, protecteur, capable de violence
- Cary Grant (années 40) : gentleman élégant, raffiné, humour, douceur
- Elvis Presley (années 50) : premier chanteur sex-symbol avec hypersexualisation scénique, rébellion, flamboyance
- Marlon Brando : virilité animale, hypersensibilité via l’Actor’s Studio, côté “fleur de peau”
- Exemple iconique : scène dans Un tramway nommé Désir où il crie "Stella" ([09:00])
- James Dean : bad boy, rebelle, hypersensible (années 60)
- Clint Eastwood : virilité impassible, homme d’action mutique (western)
- Alain Delon : unique Français à statut international, perfection physique, droiture morale/stoïcisme ([11:12])
- Années 80/90 : Tom Cruise, Brad Pitt, George Clooney — variations sur le “cool guy”, détachement, maîtrise, flirt avec la violence ([12:13])
- Johnny Depp : sensibilité, androgynie, masculinité alternative (rôle dans Edward aux mains d’argent, Pirates des Caraïbes)
- Pluralité de modèles à une époque donnée : diversité des formes de désirabilité, même si l’essentiel reste des hommes cis, blancs, hétéros, classes moyennes/supérieures ([13:40])
3. Paradoxe central : homme sex-symbol, figure féminisée et dominante ? ([16:02] – [18:09])
- Paradoxe : être l’objet du regard, traditionnellement féminin, tout en incarnant la virilité et la domination.
- Citation clé :
- “Le paradoxe, c’est qu’en devenant des objets du regard, les hommes sex-symboles semblent être pris dans une forme de paradoxe : ils occupent une position traditionnellement féminine… pourtant, ils sont regardés en tant que virils et dominants.” (Hélène Fisch, [16:12])
4. Différences de traitement cinématographique entre hommes et femmes sex-symboles ([19:00] – [23:44])
- Le male gaze (Laura Mulvey) : le regard qui fragmente et fétichise le corps féminin, tandis que les corps masculins restent généralement filmés “entiers”.
- Prétexte de l’action pour sexualiser les hommes (combats, sport…) — ex : Brad Pitt torse nu dans Fight Club, Tom Cruise escaladant torse nu dans Mission Impossible 2
- Angoisse homoérotique : stratégies pour désamorcer la crainte d’un regard homoérotique, en “justifiant” la nudité masculine par l’action.
5. Pourquoi le cinéma concentre-t-il autant de figures de sex-symbols masculins ? ([24:05])
- Le cinéma comme “art visuel populaire” qui place le spectateur dans l’intimité d’autres corps.
- Concepts de psychanalyse :
- Voyeurisme : plaisir de voir ce qu’on ne devrait pas voir
- Scopophilie : plaisir de posséder par le regard (Freud)
- Conclusion :
- “Les acteurs représentent au minimum 95% des hommes qui ont été qualifiés de sex-symbols.” (Hélène Fisch, [24:05])
6. À qui s’adressent les sex-symbols masculins ? — Problématique du regard ([25:24])
- Le male gaze reste dominant, même lors de l’érotisation des hommes.
- Tentatives de adresser aussi un public féminin/gay, par ex. comédie musicale ou scènes codées comme homo-érotiques (Top Gun, scène de volley torse nu — [27:30]).
7. Race, blanchité et sex-symbols ([29:25] – [34:29])
- Très forte sur-représentation des hommes blancs dans l’imaginaire du sex-symbol.
- Les hommes racisés (notamment noirs) sont soit hypersexualisés de façon dangereuse (fétichisation, bestialisation), soit exclus.
- L’industrie du spectacle “a du mal à livrer les corps racisés au regard des femmes qu’elle pense devoir protéger de ces mêmes hommes” ([31:32]).
- L’idéal de virilité suppose la maîtrise, réputée inexistante chez les hommes racisés selon le regard colonialiste.
- Bref “moment Obama” ([33:46] – [34:29]) où certains hommes noirs sont élus “Sexiest Man Alive” mais retour rapide au modèle blanc dès 2020.
8. Classe sociale et figure du sex-symbol marginal/bad boy ([35:02])
- Les “bad boys” ou marginaux, présentés comme séduisants, ne sont en réalité jamais issus du prolétariat, mais des classes moyennes, libres des logiques de production.
- “Ça permet aux femmes bourgeoises de fantasmer sur des hommes perçus comme dangereux sans avoir à désirer des hommes socialement inférieurs” (Hélène Fisch, [36:31]).
9. Particularités du sex-symbol français ([38:20])
- Le cinéma français hésite plus longtemps à sexualiser ses acteurs.
- Valeur mise sur le charisme, l'humour, la séduction verbale ; la beauté “parfaite” est rare (sauf Delon).
- La presse accentue le mythe du grand séducteur, peu importe son physique ou sa virilité ([39:16]).
10. Érotisation de la violence masculine ([41:29] – [45:10])
- Nombreuses scènes de films où la violence ou l’agression sexuelle sont érotisées (ex : Twilight, Fifty Shades of Grey, Autant en emporte le vent).
- La violence devient synonyme de virilité, présentée comme irrésistible et source de désir chez les femmes à l’écran.
- Citation clé :
- “La violence est un outil et un symbole de cette domination… au cœur de la notion de virilité, comme s’il n’y avait pas de plus grande maîtrise que de maîtriser le corps d’autrui.” (Hélène Fisch, [42:53])
- Problème du consentement flou ou effacé, et du “masochisme” suggéré/fantasmatique inculqué aux femmes par la pop culture ([45:10]).
11. Violence des stars à l’écran… et dans la vie réelle : responsabilité et continuum fiction-réalité ([46:16] – [51:12])
- De nombreux sex-symbols accusés ou reconnus auteurs de violences sexistes/sexuelles (ex : Depardieu, Brad Pitt) ([46:16])
- Le statut de sex-symbol blanc, riche, célèbre accroît l’impunité perçue et réelle :
- “On continue à croire que certains hommes sont trop beaux pour avoir besoin de violer.” ([46:51])
- Question du continuum fiction-réalité : être adulé pour des rôles violents, qu’est-ce que cela fait à ceux qui les incarnent ?
- Cas Edifiant : déclaration choc de Depardieu en 1978 (auto-déclaration de viols multiples, minimisant gravement le viol) [49:30].
- Réflexion clé : “Notre fascination collective pour les violences exercées à l’écran… contribue non seulement à lever les inhibitions, mais en particulier pour les hommes qui incarnent cette violence à l’écran.” (Hélène Fisch, [50:43])
12. Ouverture sur les nouvelles figures & masculinités
- La deuxième partie (à venir) abordera Timothée Chalamet, Harry Styles, Pedro Pascal — “L’engouement pour Chalamet nous dit que ce qui est devenu rassurant pour beaucoup de femmes, c’est un homme qui ne représente pas à lui-même une menace physique.” (Hélène Fisch, [51:38])
Citations notables & moments marquants
- “On ne naît pas homme, on le devient.” (Naomi Titi, [00:14])
- “Le paradoxe, c’est que les hommes sex-symboles occupent une position traditionnellement féminine… pourtant ils incarnent la domination masculine.” (Hélène Fisch, [16:12])
- “La violence, c’est un outil et un symbole de cette domination… comme s’il n’y avait pas de plus grande maîtrise corporelle que celle qu’on démontre en maîtrisant le corps d’autrui.” (Hélène Fisch, [42:53])
- “Il est plus près de la nature que l’homme blanc civilisé qui va lui apporter la culture.” (Hélène Fisch, [31:32], à propos du regard colonialiste sur les hommes racisés)
- La scène Top Gun ([27:30]) : “Match de bite” de volley sur la plage, pour illustrer l’homoérotisme latent et les stratégies d’évitement du male gaze direct.
- Déclaration choc de Depardieu ([49:30]) : “Il a violé de nombreuses filles au cours de sa vie… le viol n’existe pas vraiment, il n’y a que des femmes qui veulent être violées.”
Timestamps des segments-clés
- Origine/critères du sex-symbol : [04:04]
- Clark Gable, Cary Grant, Brando, Delon… : [06:04] – [13:40]
- Paradoxe masculin/féminin : [16:02] – [18:09]
- Male gaze, cinéma vs télévision : [19:00] – [23:44]
- Pourquoi le cinéma ? : [24:05]
- Adresse du regard & spectateurs : [25:24]
- Race/blanchité/fétichisation : [29:25] – [34:29]
- Classe sociale/marginaux : [35:02] – [37:59]
- Sex-symbol français, séduction : [38:20] – [41:29]
- Érotisation de la violence : [41:29] – [45:10]
- Violences réelles & fiction : [46:16] – [51:12]
- Ouverture sur Chalamet, Pascal, Styles : [51:38]
Conclusion
Cet épisode propose une analyse fine et historique des figures de sex-symbols masculins, décortique les mécanismes sociaux et culturels qui font d’un homme un objet de désir collectif, et montre combien cette figure reste construite par des logiques genrées, raciales et sociales très puissantes. L’émission pose des questions profondes sur la relation entre érotisation, domination, violence et pouvoir — et signe une première partie d’entrevue en attente du prochain épisode sur les “nouveaux” sex-symbols incarnant (peut-être) d’autres modèles de masculinité.
À suivre :
Deuxième partie le 30 octobre 2025, centrée sur les nouvelles figures générationnelles du sex-symbol masculin.
